lundi 1er janvier 2024

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Messieurs Delmotte

actionniste belge

, Jean-Paul Gavard-Perret

L’artiste héros fait place à l’histrion. Il rappelle à bon escient que la vie n’est pas qu’un leurre et que la mort n’est pas un Shakespeare.

Avec Messieurs Delmotte, nous pouvons enfin entrer dans le non stratifié à la jonction de divers mouvements iconoclastes. L’énonçable se transforme en visible, soit par ses vidéos. Le tout de manière minimaliste mais où le côté hilarant passe selon divers degrés.

D’où le "charme" (car c’est bien de cela qu’il s’agit) ironique de l’œuvre d’un maître en l’art de jouer des stéréotypes. Dans un monde si incertain, le sien l’est encore plus mais il faut s’accrocher aux détails que le vulgum pecus ignore : que ce soit des handicapés et des saints comme les objets du quotidien.

Certes, et par exemple, comme dans la série « Brain lovers », l’angoisse n’est jamais loin. Et des scènes que certains amateurs de vices pourraient estimer plus ou moins érotiques traduisent en divers "collages" tout l’amour du monde.

De telles vidéos créent des électrochocs ludiques. Face aux Kandinskieurs et à ceux pour qui la ligne et le noir et blanc délimitent des champs, Messieurs Delmotte invente en conséquence des espaces qui atteignent une puissance de dégénérescence nécessaire. Il crée des distorsions capitales capables de faire piquer du nez à une idée sentencieuse de l’art.

Les corps sont placés de manière apparemment irrationnelle pour prendre jusqu’à notre inconscient au dépourvu. L’artiste propose le jeu entre les forces et les faiblesses du corps et il offre des figures de sable sous forme de roc, et des rocs sous forme de stuc. L’ironie et la dérision mettent à mal tout snobisme.

Messieurs Delmotte reste avec ses divers acolytes un clown sublime. Son ridicule ne tue pas mais assassine les idées admises, le tout pour libérer l’esprit de ce qui l’encombre. L’artiste met en lumière le royaume de nos ombres et des limites de notre compréhension.

Par effet de bandes — et parfois de couples — l’art n’a jamais autant été un acte étrangement et paradoxalement humain. Il est mitonné sur d’étranges étals ou plutôt sur des tables de dissection. Du corps humain à la fois un et multiple, « Je vous le prépare ? » semble dire l’artiste. Et sans attendre de réponse, il le répare. De ce travail naît ce que les mets amorphes de l’art n’osent jamais.

L’âme humaine semble soluble dans la mécanique, bête. Mais quoique peu marins, les héros de telles vidéo-séquences — qui s’éloignent de la perfection aseptisante et qui sont produites avec les moyens audiovisuels les plus simples et une unité de temps, de lieu et d’action — contrairement au commun des mortels ne vivent pas dans des porcs épiques. 

Existe là l’hygiène la plus intime : celle de l’esprit. Face aux artistes philosophes à qui il faut toujours un mitigeur de morale, Messieurs Delmotte fait passer du fleuve du songe aux affluents du réel. Et une fois de plus, il s’interroge pour savoir ce qui reste lorsque le marchand d’âge est passé et que, par voie de conséquence, l’enfance a perdu son visage. 

Le seul espoir qui demeure est de voir disparaître nos réflexes parasites par de telles prises de vue. L’artiste. Il se veut un roseau penchant ou plutôt titubant car arrosé de Chablis. Sa sainte ivresse lui permet de comprendre combien nous sommes tous — volontaires ou non — du côté de la bêtise puisque nous la jugeons toujours à l’aune de notre propre (in)suffisance. C’est notre seule lumière et elle n’est pas toujours un éclairage…

Ajoutons que cet actionniste situationniste offre les structures d’un nouvel imaginaire qui échappe aux catégories connues. Les codes y sont tournés en ridicule et leur cérébralité aussi. En parfait irrégulier de l’art belge, le créateur ne cesse donc d’accorder à l’art les derniers outrages en entretenant une obsession portée bien plus à l’humour qu’à l’amour — même si celui-ci n’est pas oublié mais porté bien loin des directives du romantisme.

Voir en ligne : D’autres performances

Quelques photographies de ses performances chez son distributeur :
argosarts.org