samedi 2 mars 2024

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Les corps graphités ou empêtrés

de Mylène Besson

, Jean-Paul Gavard-Perret

Jean-Paul Gavard-Perret revisite l’œuvre de Mylène Besson et une mythologie de l’incarnation féminine dans ce texte qui allie critique d’art et poésie.

Dans les scènes érotiques de Mylène Besson, la douleur n’est que berceuse. Le corps a capoté. Le corps, enfin le truc, le petit Jésus, comme disent parfois les mères catholiques et romaines. Même éphèbes, les mâles sont des veaux sous la mère, tandis que, parfois, elle gémit, ressassant des sornettes sans savoir si le sexe s’adresse à son nid jusque dans ses propres fesses.

De son cierge, il doit se charger de tout. Il respire la moiteur de la chapelle, du rose de l’autel, là où par cris se crispent des dièses sans le moindre respect. Il se souvient parfois du sarrau de l’infirmière. Il finit par s’y faire, tout en s’enfonçant lentement. « C’est tout de même pas la mère à boire », dit la femme offerte. Mais c’est ce qui du fiston se perd. En devenant repère.

Mylène Besson fait proliférer le réseau du mystère de l’être et y associe une mythologie de l’incarnation féminine. Il ne s’agit plus simplement « de rappeler l’homme aux choses spirituelles par le mystère de son corps » (saint Thomas d’Aquin), mais de distinguer femme et féminité. Elle introduit divers types de mutations par surimpression, dans lesquelles le chemin à parcourir est immense. 

Car imaginer n’est jamais restreindre mais développer les enveloppes charnelles. L’artiste ne s’en prive pas. Surgissent en écho une fête païenne et un rituel aussi érotique qu’austère. La femme est déjà fée, car sortie de sa chrysalide, mais son efflorescence et l’éclat de sa magie sont parcourus de fantômes.

Dentelles, remous, fragrances, sont aux prises avec ceux-ci. Le royaume féminin est habité d’ombres, parfois masculines, qui apprivoisent l’exaltante suavité en s’emparant du corps à la vitesse du plaisir qui monte. Il arrive que « la rose de personne » soit cachée dans les dunes. L’étoile de mer est transparente comme l’est une robe de dentelles. Reste, dans l’épreuve du désir, une transgression qui n’a rien de basique et dont la sylphide devient la « pierre vivante ». 

Mylène Besson crée une liturgie qui possède le pouvoir mystérieux de transformer le corps physique, vulgaire, en corps du mystère. L’érotisme s’élève ici contre tout effet de simplification. Un rien naturalisée, la féminité apprend à se méfier de sa propre séduction. Le réalisme ou plutôt la figuration rapproche inconsciemment d’un souffle de l’origine et de la « nuit sexuelle » dont on ne saura jamais rien, sinon ce que l’artiste en suggère en « sanglots ardents », comme l’écrit Baudelaire.

Mylène Besson recueille l’impossible du corps, voire son impensable. Au sein de ce qui pourrait sembler une étreinte amoureuse, l’être sort d’un lit nuptial aux draps froissés par l’amour : il est aux prises avec sa solitude. La plasticienne y découvre une vérité par le dessin. Le graphite, prolongeant sa main, gratte, creuse, effleure, caresse, macule, relance le trait. Il reste condition et médium de l’inconscient.