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Un programme pour l’écoute, la dance et le plaisir…
C’est du jazz Latino 26
(Antilles françaises de la Caraïbe)
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Un facteur essentiel pour établir le caractère latino du jazz à l’époque contemporaine est de considérer dans sa formation, sous des formes multiples, mais en gardant toujours un socle commun, toute la Caraïbe, toute l’Amérique latine, et pour cela les îles francophones, anglophones, néerlandophones. Nous ne devons pas nous limiter à la seule contribution des Caraïbes hispaniques, même si cette composante a été fondamentale dans la décennie décisive des années ‘40.
Car le caractère latino du jazz ne commence pas là, il commence avec l’origine même du jazz à la Nouvelle-Orléans à la fin du XIXe siècle. Lorsque les pionniers du jazz ont identifié la saveur hispanique dans ce qu’ils faisaient, par hispanique, ils entendaient en réalité le latino et les Caraïbes en général, c’est-à-dire la migration de la partie sud du continent et des Caraïbes, bien qu’avec d’autres langues, venues à la Louisiane de l’époque, et constituant une partie du tissu humain de la prospère ville de la Nouvelle-Orléans, qui, avant d’être anglophone, avait été hispanophone puis francophone, ou avait d’abord été sous le pouvoir de l’Espagne et puis sous le pouvoir de la France. Ce sont des données historiques que nous ne pouvons ignorer.
Par ailleurs, comme le raconte la littérature, mais aussi le jazz et le jazz latino à sa manière, tenter de comprendre ce phénomène social global nous amène inévitablement à l’année 1492, date de l’arrivée de Christophe Colomb dans ce qu’il croyait l’Inde, amorçant le processus de mondialisation qui n’a fait que s’intensifier depuis lors. À l’époque, les Portugais et les Espagnols étaient ceux qui avaient le plus développé leurs compétences et technologies de navigation et les armes de feux, a cote de la pratique de l’évangélisation ; Ils se disputaient le contrôle du monde et de ces régions inconnues. Puis, alors qu’ils avaient à peine commencé leur domination, les Anglais, les Français, les Néerlandais et d’autres Européens se joignirent à la conquête et appropriation de ces terres et la soumission à l’esclavage de leurs habitants indigènes, ainsi que de la population africaine amenée de force de leur continent vers l’Amérique nouvellement « découverte » pour exploiter les mines et les plantations, ils font depuis partie de son paysage humain.
L’Amérique dans son ensemble et particulièrement la région des Caraïbes a accueilli des populations du monde entier. Ceux-ci conservent plus ou moins leurs langues d’origine, leurs coutumes, leur cuisine, mais ils se rapprochent et se comprennent à travers le langage musical, un langage qui est une synthèse de toutes ces influences, de la matrice initiale Amérique-Europe-Afrique qui impliquait la « découverte », la conquête et la colonisation de ces terres et de leurs habitants. Ainsi, le trafic d’Africains, la piraterie et l’esclavage orchestrés par les Européens sont à l’origine de la culture caribéenne d’aujourd’hui et donc de sa musique.
Dans la Caraïbe, insulaire et continentale, sous la stricte domination coloniale européenne, ses habitants, malgré l’apartheid, les préjugés et l’incompréhension, inévitablement se rassemblent, s’hybrident, se mélangent, d’où leur complexe culture et en son sein sa contagieuse expression musicale aujourd’hui mondialisée.
L’un des affluents, dans le bassin caraïbe, du courant dominant actuel du jazz latino, est la musique des colonies françaises. À partir de 1848, date de l’abolition de l’esclavage dans ces colonies, et jusqu’à la terrible éruption du volcan de la montagne Pelée en 1902, qui détruisit la ville de Saint Pierre, cette ville fut l’une des plus importantes et dynamiques de la région.
Ce fut une éruption volcanique très importante, l’une des plus meurtrière du XXe siècle, elle débuta le 23 avril 1902 et se poursuivit jusqu’au 5 octobre 1905. Elle détruisit en quelques minutes ce qui fut la plus grande ville de la Martinique, Saint-Pierre, tuant la quasi-totalité de sa population, plus de 30 000 personnes sont mortes, soit un cinquième de la population de l’île. Cette ville s’étendait le long de son port, long d’environ 3 km et large de 400 m, au pied du flanc sud-ouest du volcan. Elle était entourée de plusieurs villages et villes.
Saint-Pierre, surnommé le Petit Paris des Antilles, fut la capitale de la Martinique jusqu’en 1692 et en resta la capitale économique et culturelle jusqu’à l’éruption de 1902. Elle possédait une cathédrale, un théâtre, un institut, un hôpital, une prison, une chambre de commerce, des consulats, journal, etc. Son port accueillait de nombreux navires marchands internationaux pour exporter le sucre et le rhum produits dans ses usines.
Durant la seconde moitié du XIXe siècle, dans cette ville et à Point-à-Pitre, avec la participation de musiciens aujourd’hui pour la plupart oubliés, s’est formée la biguine, la musique qui accompagnait ses danses populaires. Cette musique serait peut-être restée une expression populaire locale mais l’intervention d’un musicien, le clarinettiste Alexandre Stellio, permit d’établir la forme classique de la biguine. Il fut la référence pour tous les musiciens qui le suivirent, comme Louis Armstrong dans le jazz, et, chose très importante, grâce à son succès la biguine se répandit sur tout le continent européen, depuis un événement d’envergure internationale, l’Exposition Coloniale qui eut lieu à Paris en 1931.
Cette exposition, qui ouvrit ses portes en mai 1931, fut prévue sur 11 ans et conçue comme une immense vitrine de l’empire colonial français. Sur l’avenue des Colonies, se réunissaient les quatre pavillons des plus anciennes possessions françaises : Guadeloupe, Guyane, Martinique et Réunion. Une fête antillaise avait lieu tous les jours, jusqu’à minuit.
Dans ce cadre insolite, l’orchestre de Stellio s’est produit pendant 5 mois puis celui de Sam Castandet pendant 1 mois, un exotisme total pour les 8 millions de visiteurs qui ont assisté à l’Exposition, dès lors la biguine va conquérir Paris et d’autres villes européennes.
L’Exposition prend fin en novembre 1931 mais son impact durera des années. Les Parisiens, les Français et d’autres Européens ont « découvert » la culture antillaise, ses habitants, sa musique dans un scénario que l’on remet aujourd’hui en question mais qui fut paradoxalement bénéfique pour les Antillais qui vivaient en France, leur conférant un autre statut et une plus grande intégration.
La biguine devient à la mode et de nombreux cabarets antillais ouvrent, les Antillais deviennent présents dans la vie sociale et mondaine de la métropole. Une clientèle hétéroclite fréquentera ces lieux, sans distinction de classe ni de couleur, sur la piste de danse, dans une ambiance joyeuse. La province n’est pas en reste, des entrepreneurs organiseront des tournées avec les orchestres de l’Exposition, à Bordeaux, à Toulouse, dans tout le sud-ouest de la France. Les orchestres déjà présents à Paris ne suffisaient pas, d’autres musiciens antillais arrivèrent stimulés par la mode biguine.
En 1935 est célébrée l’annexion des Antilles à la France, organisée par un comité en présence d’un sénateur de Guadeloupe, d’un député et du gouverneur de la Martinique dans le but d’organiser, à Paris et aux Antilles, une manifestation en l’honneur des anciennes colonies. Une grande nuit antillaise culmine la célébration le 14 novembre 1935 à l’Opéra de Paris, en présence du Président de la République, de poètes, chanteurs, danseurs et d’un grand bal animé par 8 orchestres dont ceux d’Alexandre Stellio et de Félix Valvert.
En 1937, dans le quartier du Trocadéro et du Champ de Mars, se tient à Paris l’Exposition internationale des arts et techniques. L’ambiance musicale est garantie par la formation du violoniste de jazz américain Eddie South, dans laquelle joue le contrebassiste et poète guyanais Paul Cordonnié, et par l’orchestre du Guadeloupéen Roger Farfant.
Dans les années 1930, Paris devient alors un vaste music-hall cosmopolite, les musiques exotiques fascinent et sont omniprésentes, jazz, tango, musique tzigane, rumba, biguine.
L’occupation allemande de la France, de 1940 à 1944, met fin à la fête ou l’envoie dans la clandestinité.
Comment ne pas relier ce phénomène culturel des années ‘30 à Paris avec celui qui se développera dans les années ‘40 à New York, avec les « rois du mambo » en vedette et qui donnera naissance au jazz latino. De manière très similaire, des personnes d’origines les plus diverses, cette fois noirs, latinos, italiens, juifs, etc., se retrouveront sur les pistes de danse de la ville, temporairement unies par cette espace d’écoute, de danse et de plaisir. Jusqu’à ce que la politique ségrégationniste du pouvoir aux EE.UU. met fin au phénomène.
Les musiciens latinos, avec le soutien d’une population antillaise et latine croissante, depuis l’annexion par les États-Unis de Cuba et de Porto Rico, provenant de toute la Caraïbe et l’Amérique latine, et avec la sympathie des musiciens de jazz nord-américains, en particulier des musiciens de jazz noirs, bien qu’également celle des blancs, se sont déplacés partout depuis lors sur le territoire du Nord. De ces rencontres sont nés le jazz et la musique antillaise aujourd’hui unis dans le jazz latino.
Theodor Adorno n’aimait ni les jazzmen ni l’industrie culturelle. Aujourd’hui, la mondialisation du jazz latino se poursuit, discrètement, plus grâce à la passion des jazzmen qu’à la recherche de profit par tous les moyens de l’industrie culturelle.
Il ne peut s’agir ici que d’un premier épisode consacré aux Antilles françaises et à leur musique, spécifiquement dans une durée d’apports mutuels entre la biguine et d’autres rythmes antillais et le jazz, donnant naissance, dans un processus qui implique bien d’autres rythmes et tendances, au jazz latino.
Archange Saint Hilaire, né en 1879 à Saint-Pierre, d’une famille très pauvre, musicien, tromboniste, homme d’affaires. Depuis sa plus tendre enfance, il fréquente le littoral de sa ville natale, il est connu de tous les commandants de navires. En 1896, l’un de ces commandants l’invite à faire un aller-retour entre Saint-Pierre et Cayenne. Un beau jour, il décide de s’installer en Guyane.
Tout se passe bien pour Archange, il rencontre celle qui deviendra la mère de ses enfants, il enrichit son activité de pêche avec divers bateaux et filets. C’est alors que le malheur frappe son domicile et Saint Hilaire se retrouve seul avec six enfants à la suite de la mort subite de sa femme.
La chance sourit à nouveau au pêcheur, le mettant en présence d’une femme qu’il épousera. Elle s’occupera de l’éducation de ces enfants. En plus de son important matériel de pêche, il acquiert même une salle de danse à Cayenne. Archange Saint Hilaire avait 23 ans lorsque sa ville natale a été détruite par l’éruption de la Montagne Pelée. Là, il perd toute sa famille et ses amis. En 1928, il doit rapidement quitter son pays d’adoption pour revenir en Martinique.
En 1929, le musicien et homme d’affaires quitte la Martinique en association avec Stellio et Léardée. Après seulement quelques mois en France, cette association est rompue car Stellio refuse de partager les royalties que la maison ODEON donne pour ses séances d’enregistrement, provoquant ainsi la rupture de l’association. Quinze jours plus tard, il rentre en Martinique.
Il reprend ses activités et en 1931, alors qu’il bat son plein, il constate qu’il a perdu l’usage de la vue. Cela affecte grandement son moral. Il décide de tout vendre à Saint-Pierre pour vivre à Fort-de-France. Cependant, son handicap ne l’empêche pas de continuer à faire un peu de musique toujours dans Select Tango en compagnie de ses amis : Eloi Penzou, Hurard Coppet, Georges Sainte Rose-Nono et Léona Gabriel. Il décède en août 1962.
1 Ninon, Mlle Estrella, Archange Saint Hilaire, L’orchestre du Bal Antillais de M. Stellio, 1930.
Alexandre Stellio, de son vrai nom Alexandre Fructueux, naît le 16 avril 1885 à l’Anse Dufour, quartier de la commune des Anses d’Arlet. Vivant modestement de la pêche, sa famille décide de s’installer à Saint-Pierre, capitale économique et culturelle de l’île. En 1898, à l’âge de 13 ans, il s’embarque avec sa famille pour la Guyane.
Le jeune Alexandre s’adapte très rapidement, développe ses talents de virtuose de la flûte et apprend rapidement à jouer de la clarinette. Il devient très vite une vedette dans les dancings les plus côtés de l’époque. C’est ainsi qu’il joue de la clarinette au Petit Balcon de Cayenne et contribue à l’expansion de ce dancing. Il est aussi sollicité par le propriétaire d’une salle de cinéma de Cayenne, Monsieur Didier dont Eugène Zéphir était l’associé, pour y interpréter des morceaux lors de la projection des films muets.
En 1919, à son retour à la Martinique il est engagé comme clarinettiste pour accompagner les films de cinéma Gaumon tout en exerçant son métier de clarinettiste t. En 1922, il compose sa première biguine, Quand même, et rejoint l’orchestre de Léon Apanon au fameux dancing Le Sélect Tango. Le 27 avril 1929, il s’embarque pour la France en compagnie de ses musiciens parmi lesquels Ernest Léardée et Archange Saint-Hilaire pour l’ouverture du célèbre cabaret La Boule Blanche.
En 1931, avec une nouvelle formation, lors de l’Exposition Coloniale et Internationale de Paris, il fait découvrir la biguine qui connaîtra un succès durable. En 1935, Stellio se produit avec son orchestre à l’Opéra de Paris à l’occasion des fêtes du tricentenaire du rattachement des Antilles et de la Guyane à la France. De 1929 à 1939, il enregistre plus d’une centaine de compositions (biguines, valses, mazurkas, etc.) sur des disques de 78 tours qui connaîtront un très grand succès. Parmi ces compositions les plus célèbres : Serpent maigre, Pleurez, pleurez, Chabin, Paris biguine, A l’ombre des palmiers, etc. Le 27 juillet 1939, terrassé par une crise cardiaque alors qu’il jouait dans un cabaret parisien, il meurt à l’hôpital de l’Hôtel Dieu.
Influencé par le jazz et les rythmes latino-américains de son époque, il est considéré comme un des maîtres incontestés de la biguine et comme celui qui a fait ressurgir des airs oubliés de Saint-Pierre. Auteur de nombreuses mazurkas célèbres qui sont toujours reprises et jouées de nos jours.
2 Surrah ! Alexandre Stellio, Orchestre du Bal Antillais refrain par Mlle Estrella, 1930.
Ernest Léardée, né le 9 novembre 1896 à Fort-de-France en Martinique, est un musicien et compositeur. A Fort-de-France, une rue porte son nom dans le quartier dit Trenelle.
Il est orphelin assez jeune, et est élevé par sa sœur. Apprenti chez un luthier qui lui apprend la musique, travaille dans un salon de coiffure et fait les bals, puis part en tournée. Il est à la fois violoniste, saxophoniste et clarinettiste.
Avec son orchestre antillais, il fait mieux connaître les musiques tropicales en France où il arrive à la fin des années 1920, et où il fait découvrir André Salvador, le grand frère d’Henri Salvador. Il ouvre plusieurs cabarets à Paris. En 1938 il fait une tournée en Europe, et se retire dans l’Yonne pendant l’occupation. A la libération il retrouve son activité de chef d’orchestre dans différents cabarets parisiens où il joue et compose en particulier de la biguine, considérée comme un des ancêtres du jazz. Dans les années 1950 il introduit les rythmes cubains et latino-américains dans son répertoire.
Il meurt le 12 avril 1988 à Fontenay-sous-Bois à l’âge de 91 ans. Un documentaire lui a été consacré par Jean-Pierre Kreif et Christiane Succab-Goldman.
3 La Belle Amelie, Ernest Léardée, album Ernest Léardée 1951-1954.
Abel Beauregard (1902 - 1957), né au tout début du siècle à la Guadeloupe. S’intéresse très tôt à la musique. Il côtoie les orchestres et s’exprime au point de se faire apprécier. Il est trompettiste.
A l’âge de vingt-deux ans, il arrive à Paris. Il rencontre des musiciens cubains, Haïtiens et quelques rares antillais ou Guyanais. Les musiciens américains sont nombreux. Tous ceux-ci affichent une culture musicale de haut niveau. Abel ne maîtrise que son instrument. Il est certes un bon trompettiste, il décide de s’initier au solfège et à l’harmonie. D’un style fluide et d’une sonorité discrète à la manière de ses initiateurs, il est de plus en plus sollicité.
Un tandem inséparable se forme Abel Beauregard trompettiste et Jean Degrace trompettiste tromboniste. Tous deux sont engagés dans l’orchestre du trompettiste Américain Edgard E. Thompson. Ce même tandem se retrouve dans l’orchestre Notte and His Creol Band Jazz de La Coupole.
En 1931, Florius Notte dirige cet orchestre et ils réalisent ensemble l’enregistrement de trois disques soixante-dix-huit tours. Les compositions de Beauregard commencent à intéresser les orchestres. Celui du batteur Guadeloupéen André Matou intègre Abel en son Ti Joseph à Josephine chantée par Orphelien est enregistrée. Abel Beauregard confirme sa suprématie. En 1934, le trompettiste fait partie de l’orchestre du clarinettiste flûtiste Cubain Rico Filiberto. Un nouvel enregistrement d’une autre de ses compositions a lieu, Moin Aimé Doudou Moin en est le titre. Le trompettiste Guadeloupéen est en pleine gloire. Seul l’éclatement de la guerre mondiale de 1939 compromet quelque peu son ascension.
En février 1942, sous l’influence de Félix Valvert, Beauregard est au nombre des musiciens antillais qui devront quitter la capitale pour se rendre en zone non occupée. En 1943, au mois de décembre, la circulaire n°9 du Hot Club de France annonce les débuts du premier grand orchestre Français de couleur, celui du Hot Club Colonial, Association de musicien d’Outre-Mer sous-titrée Club Artistique et Musical des Coloniaux, Abel Beauregard en est le président fondateur. En juin 1957, à la suite d’un banal accident d’automobile, conduit à l’hôpital où il fut mal soigné bien que ses blessures fussent sans gravité ; il mourut d’une infection. Abel Beauregard était alors âgé de cinquante-cinq ans.
4 Marie Galante, Abel Beauregard et son orchestre, 1950-59.
Siméon Félix Valvert, né le 21 avril 1905 à Basse-Terre (Guadeloupe) et mort le 3 novembre 1995, est un musicien et chef d’orchestre des plus grands cabarets parisiens. Dès sa jeunesse, Félix Valvert joue de la guitare. À l’âge de huit ans, il perd sa mère. De nombreux jeunes guadeloupéens quittent l’île clandestinement, à bord de navires en partance pour la métropole avec leur cargaison de soldats antillais nouvellement recrutés. Le 2 septembre 1921, à l’âge de 16 ans, il quitte donc la Guadeloupe pour la métropole et rejoint Paris en avril 1922.
Ne pouvant continuer à jouer le trombone, réservé aux grandes formations, il est embauché, en novembre 1928, comme banjoïste dans un cabaret, Turquetty, au quartier Latin. Plus tard, Pierre Jouffroy, un saxophoniste, intègre l’orchestre. Il initie et propose à Félix Valvert de jouer du saxophone qui, en 1929, enregistre Hallelujah. Il intègre le cabaret le Jockey (à Montparnasse) où il joue en quartet et jouera à travers l’Europe.
À son retour en France, en 1930, le patron du Jockey lui propose de créer sa formation, Felix Valvert devient le premier musicien antillais à être chef d’orchestre avec le Pélican Blanc. En 1933, à Londres, il enregistre deux biguines, Gade dentelles et Karukara avec Oscar Calle, le pianiste cubain, et son orchestre avec qui il restera jusqu’en 1935.
En septembre 1935, il succède à Alexandre Stellio au cabaret la Boule Blanche (Vavin, Paris). Le 14 novembre 1935, il participe avec d’autres artistes antillais à la nuit du Tricentenaire du rattachement des Antilles à la France. En 1937, il rejoint le dancing de La Coupole avec son orchestre Feli’s Boys où il restera, hormis une interruption due à la guerre, jusqu’en 1946. Pendant ces années-là, avec son Orchestre Typique du Hot-Club Colonial, il enregistre pour Polydor deux rumbas. Lors de l’occupation, il quitte Paris en février 1942 pour Dijon, puis Marseille, avec plusieurs musiciens antillais dont Albert Lirvat. Le 9 janvier 1944, Il enregistre pour la première fois Déception, une biguine composée avant la guerre.
Il jouera jusqu’en 1969 et reprendra de célèbres chansons, Quizás, quizás, quizás (1949), Sol Tropical. En 1976, Felix Valvert quitte la scène et se retire à Basse-Terre, où il meurt le 3 novembre 1995 dans la misère, à l’âge de quatre-vingt-dix ans.
5 Babalu, Félix Valvert, album Felix Valvert : Les années cubaines 1944-1948.
Samuel Sabinus Castendet, dit Sam Castendet (30 décembre 1906 - 18 janvier 1993) est un musicien, compositeur et chef d’orchestre martiniquais spécialisé dans la biguine et la musique antillaise. Né à Sainte-Marie de la Martinique, intéressé dès l’enfance par la musique, il reçoit en cadeau de sa mère une clarinette à l’âge de treize ans. Il pratique en autodidacte et apprend l’ébénisterie et la mécanique, puis part pour la métropole.
Il arrive à Paris en 1924 où il travaille comme tourneur. En 1931, il est recruté comme clarinettiste au pavillon de la Guadeloupe de l’Exposition coloniale internationale. Il poursuivra sa carrière musicale en créant son propre orchestre, Sam Castendet et son orchestre antillais, il joue notamment au cabaret La Boule Blanche.
Mobilisé pendant la seconde guerre mondiale, il est fait prisonnier, puis s’évade et rejoint Paris en 1942. Il reprend sa carrière musicale et se produit à La Cigale, au Pavillon d’Ermenonville, à La Villa d’Este et à La Canne à Sucre. En 1951, il anime le Tour de France. En 1952, il part pour le Sud-Ouest puis, en 1956, effectue en tournée en Afrique, où il joue pour le roi Farouk en Egypte.
Atteint d’insuffisance respiratoire, il apprend la contrebasse, ouvre un cabaret, Le Fort-de-France, rue Molière à Paris, crée une maison de disques La Boîte à Musique. Il finit par arrêter toute activité musicale en 1965 et prend sa retraite en 1980 à La Rochelle. Il meurt à la Martinique le 18 janvier 1993.
6 Le Nègue Antillais, Sam Castendet, album Biguine à la canne à sucre 1946-1949.
Eugène Delouche, est un clarinettiste martiniquais, né le 28 mars 1909 dans la commune du Marigot anciennement Fond d’Or et décédé le 9 août 1975 à Saint-Ouen, près de Paris.
Adolescent, il fait son apprentissage dans la cordonnerie puis il étudie ensuite à l’école des Arts et Métiers de Fort-de-France. Très tôt, il a l’amour de la musique et du chant. Il apprend tout d’abord le violon, mais après avoir entendu jouer Alexandre Stellio, il adopte la clarinette. Aidé par une excellente oreille et à force de travail, il fait seul son apprentissage tout à la fois de l’instrument, du rythme et du style créole martiniquais et de la composition.
En 1928, il assure quelques remplacements dans l’orchestre du cinéma Gaumont de Fort-de-France et en 1929, il prend la direction de l’orchestre de ce cinéma.
Fin 1931, il arrive à Paris et joue au cabaret La Boule Blanche. Début 1932, premiers disques de L’orchestre typique martiniquais Charlery-Delouche chez Odéon. De fin 1932 et jusqu’en 1935, il décroche divers contrats dans la plupart des orchestres et cabarets parisiens puis il jouera en Tunisie, à Rome et à Vienne.
En 1935, il est de retour à la Martinique pour participer aux fêtes du Tricentenaire. Durant l’année 1935, il se met au saxophone et ajoute le jazz à son répertoire. Il forme son propre groupe L’Orchestre Del’s Jazz Biguine. De 1932 à 1937, et enregistre sous les noms de L’orchestre typique martiniquais ou du Del’s Jazz Biguine. De 1939 à 1942, il joue avec les Feli’s Boys du chef d’orchestre guadeloupéen Félix Valvert au dancing de La Coupole à Montparnasse. Après la Libération, il reprend son métier de musicien à plein temps. Bon compositeur de biguine et de mazurka, il se fait une réputation de maître en ce qui concerne la valse créole. En 1950, il est admis à la SACEM et dépose le pseudonyme Luis Passio d’Inez pour certaines de ses compositions.
En 1951, il se lance dans l’édition de sa musique, il retranscrit, grave, imprime, diffuse lui-même toutes ses œuvres et fonde Les Disques RITMO (78 tours). En 1953, il participe au carnaval de la Martinique.
Fin 1953, il enregistre ses derniers 78 tours à Paris. En 1957, il enseigne la clarinette à Gérard Tarquin, fondateur de l’orchestre Les Haricots Rouges. Il se rend régulièrement à la Martinique notamment à l’occasion des Carnavals.
Dans ses dernières années, en retrait de la musique, Eugène Delouche s’est reconverti dans la profession de chauffeur de taxi. Victime d’un malaise à son domicile où il vivait seul à Saint-Ouen, il est décédé le 9 août 1975. Il fut enterré au cimetière de la Levée à Fort-de-France en Martinique.
7 Madinina, Eugène Delouche, album Eugène Delouche, vol. 2, 1970.
Sylvio Siobud, né à Pointe-à-Pitre en 1911 d’une famille de musiciens. Son père, Armand Siobud, est considéré comme le père des musiciens guadeloupéens. Issu du Conservatoire de Musique d’Haïti, il a étudié l’accordéon, la clarinette, le violon, la guitare et surtout l’art de composer de la musique.
De retour en Guadeloupe en 1903, il fonde avec quelques musiciens le premier orchestre philharmonique de l’île. Cette philharmonie forme de nombreux musiciens, en son sein et parmi tant d’autres, ses deux fils Sylvio et Armand. Ils étudient le solfège et l’harmonie, leurs instruments étant initialement la clarinette et le saxophone. Son introduction à la musique est très académique, la rigueur du professeur Siobud est légendaire.
Sylvio Siobud est l’un des rares musiciens à avoir une solide culture musicale pour l’époque. Son entreprise est très demandée. Son aptitude pour le Jazz ne fait aucun doute. Il quitte la Guadeloupe avec les frères Martial en novembre 1931.
Travail acharné jusqu’à l’arrivée de la guerre de 1939 à 1945. L’activité des musiciens antillais décline considérablement. Pour joindre les deux bouts, Sylvio offre aux musiciens une formation en solfège et en harmonie. En juin 1924, on retrouve Sylvio dans l’orchestre dirigé par le Camerounais Freddy Jumbo, qui officie à la brasserie La Cigale, haut lieu du jazz à Paris. Sylvio est au sax ténor, rejoint par Robert Mavounzy au sax alto, le pianiste haïtien Maurice Thibault, le contrebassiste guyanais Henri Godissard et le directeur de batterie.
Fin janvier 1944, les musiciens du Hot Club Colonial (association de musiciens antillais créée par Abel Beauregard) se réunissent aux studios Polydor pour réaliser le premier enregistrement d’une formation moyenne de jazz composée de huit musiciens exclusivement antillais. Cela permet aux observateurs de juger du haut niveau de professionnalisme des musiciens antillais de l’époque.
En 1946, après la libération, dans les fameuses jam-sessions organisées par Charles Delaunay, on retrouve encore Robert Mavounzy et Sylvio Siobud.
D’une culture générale bien au-dessus de la moyenne, il a séduit son entourage. Il a continué ses performances même à un âge très avancé. En 1980, il a été vu pour la dernière fois dans l’enregistrement de la comédie musicale Happy Island de Ronnie Aul avec Eushan Palcy, Al Lirvat, Greg Germain et d’autres. Depuis, il mène une vie tranquille et heureuse, une retraite bien méritée avec sa femme, dans une petite ville de Normandie. Il s’est éteint paisiblement le 27 novembre 2005 à l’âge de 94 ans, entouré des siens, il repose à Breteuil sur Iton dans l’Eure, Haute Normandie.
8 Mazurka dans a nuit, Sylvio Siobud, album Vintage hits, 1940-50.
Robert François Mavounzy, (Colón (Panama), 2 avril 1917- Créteil, 24 mars 1974) est un saxophoniste français d’origine caribéenne qui s’est illustré dans le jazz et la musique antillaise et qui fut classé par la revue Jazz Hot premier saxophoniste de France, puis d’Europe. Les deux parents sont guadeloupéens et vivant au Panama, la famille revient en Guadeloupe en 1927.
Sa virtuosité saluée par André Hodeir et ses talents d’improvisateur lui ont valu de jouer et d’enregistrer avec les plus grands jazzmen français des années 1940, tels Django Reinhardt, le pape du wabap Al Lirvat, Gus Viseur, ainsi qu’avec des musiciens américains tels que Harry Cooper, qu’il côtoiera dans l’orchestre d’Eddie Barclay. Pendant l’Occupation, il participe à de nombreux concerts au Hot Club de France.
Il est ensuite l’un des tout premiers musiciens français à introduire en France le bebop. Il enregistrera dès 1947 sous le nom de Robert Mavounzy and his Be-Boppers avec une formation comprenant Emmanuel Soudieux à la basse, Benny Bennet à la batterie, André Persiany au piano et Jack Carmen au trombone.
De 1947 à 1949, il est chef d’orchestre à La Boule blanche. En 1956, il est recruté à La Canne à Sucre, dirigé par Gérard La Viny. Il participera en 1960 à la revue de Joséphine Baker et dirigera également à plusieurs périodes différentes, et notamment au moment de sa mort, l’orchestre de La Cigale, lieu pour lequel il avait composé un morceau éponyme, enregistré le 14 janvier 1943 avec l’orchestre de Harry Cooper. Il repose au cimetière de Saint-Ouen.
9 Pitite a manman, Robert Mavounzy & Les Emeraude Boys, 1940-50.
Moune de Rivel, La Grande Dame de la Chanson Créole, née Cécile Jean-Louis le 7 janvier 1918 à Bordeaux, est une chanteuse, actrice, pianiste, guitariste et peintre française originaire de la Guadeloupe.
La carrière de Moune de Rivel fut grandement influencée par sa mère musicienne Fernande de Virel (1881-1953) issue de la famille Dufresne de Virel, nobles de Bretagne de longue lignée. En 1783, un membre de la famille de Virel s’exila à Saint-Barthélemy, Antilles françaises, et eut une descendance en Guadeloupe. Fernande de Virel, lauréate du Conservatoire National de Musique de Paris en 1902, a composé de nombreux airs traditionnels guadeloupéens. Moune de Rivel avait d’abord choisi le nom de sa mère "de Virel" comme nom d’artiste. Elle permuta le V et le R en 1948 à la suite d’une plainte de la famille Dufresne de Virel.
En décembre 1945, Moune de Rivel est la première artiste française engagée aux États-Unis après la guerre. Elle arrive à New York peu avant Noël 1945 et se produit chaque soir à partir du 21 février 1946 au Café Society Uptown, dirigé par Barney Josephson. Avant cela, elle est filmée dans un documentaire d’actualités sur la vie nocturne new-yorkaise intitulé Night-Club Boom de la série The March of Time.
La célèbre revue Life Magazine lui consacre un article dans son numéro du 1er avril 1946. Le 31 juillet 1946 à Baltimore, Moune de Rivel épouse le pianiste de jazz Ellis Larkins, elle en divorcera le 5 juillet 1949 à Paris. Moune restera deux ans aux États-Unis, avec une coupure de trois mois en France fin 1946.
En 1969, en complément de sa production typiquement créole, Moune de Rivel sort un disque de textes poétiques d’auteurs français et ultramarins, Iles et rivages, sur des musiques de sa composition. Pour cet album, elle collabore avec Janine Rémignard et René Maran et exceptionnellement avec Jean-Pierre Chabrol et Pierre Mac Orlan.
Moune de Rivel est morte le 27 mars 2014 à Paris. Elle repose au côté de sa mère, Fernande de Virel, au Cimetière du Montparnasse.
10 Seule sur la plage, Moune de Rivel, album Nostalgie Créole, 2000.
Marius Cultier, né le 23 avril 1942 aux Terres Sainville et mort le 23 décembre 1983 est un compositeur, pianiste, auteur, interprète français de la Martinique. Il révéla très jeune son génie remportant dès 1958 à Porto Rico le 1er prix du Piano International Contest pour son interprétation magistrale de Round Midnight, de Thélonius Monk.
Il commence sa carrière artistique à ses huit ans et se fait remarquer, un an plus tard, comme chef d’orchestre de l’ORTF, il n’a alors que neuf ans. Puis, il anime une émission radio intitulée Punch en musique qui connaît un grand succès auprès du public. Avec Jack Gil, Jo Amable, Marius Cultier contribue à modifier le contexte culturel de toute une époque. À 14 ans, il devient orphelin de père et de mère. Ses grandes sœurs se chargent de son éducation
À 20 ans, Marius compte une dizaine de disques à son actif. Il s’installe pendant 8 ans au Canada où il est immédiatement adopté par le public. En outre, il est engagé par la radio Canadienne comme animateur de plusieurs émissions. Entre 1970 et 1971, Marius Cultier va se faire connaître du public Européen. En 1975, il se produit à l’Olympia, au Palais des Congrès sur invitation du président de la République de l’époque. En 1976, Marius Cultier se fait remarquer lors de la remise des prix de l’Académie de Jazz de Paris.
Certaines de ces compositions, dont le Concert pour l’oiseau et la fleur, sont interprétés par Jocelyne Beroard, chanson qui reçoit le prix de la Chanson d’Outre-Mer à Paris en 1982.
Collaborations avec des artistes aussi prestigieux que Miles Davis, Dionne Warwick, Robert Charlebois, McCoy Tyner, B B King, Mongo Santamaria, Gerry Labelle (saxophoniste qui l’accompagne lors de prestations à l’Expo de Montréal en 1967).
L’homme affectionne la biguine, la Mazurka, le jazz ainsi que le latino. On le nommera plus tard précurseur du créole jazz, voire plus couramment précurseur de la Biguine jazz. Depuis le 30 novembre 2018, un lycée professionnel situé à Dillon en Martinique s’appelle désormais le lycée Marius Cultier.
11 Ochung, Marius Cultier, album The Way, 1976.
C’est du jazz Latino 26 (Antilles françaises de la Caraïbe)
Un espace pour l’écoute, la danse et le plaisir...
1 Ninon, Mlle Estrella, Archange Saint Hilaire, L’orchestre du Bal Antillais de M. Stellio, 1930.
2 Surrah ! Alexandre Stellio, Orchestre du Bal Antillais refrain par Mlle Estrella, 1930.
3 La Belle Amelie, Ernest Léardée, album Ernest Léardée 1951-1954.
4 Marie Galante, Abel Beauregard et son orchestre, 1950-59.
5 Babalu, Félix Valvert, album Felix Valvert : Les années cubaines 1944-1948.
6 Le Nègue Antillais, Sam Castendet, album Biguine à la canne à sucre, 1946-1949.
7 Madinina, Eugène Delouche, album Eugène Delouche, vol. 2, 1970.
8 Mazurka dans a nuit, Sylvio Siobud, album Vintage hits, 1940-50.
9 Pitite a manman, Robert Mavounzy & Les Emeraude Boys, 1940-50.
10 Seule sur la plage, Moune de Rivel, album Nostalgie Créole, 2000
11 Ochung, Marius Cultier, album The Way, 1976.