LaRevue - Arts, cultures et sociétés


LaRevue n°94


Éditorial

« Par cinq brasses de fond repose ton père, de ses os sont faits les coraux, les perles sont ce que furent ces yeux, rien de lui ne s’évanouit, mais il subit une transformation marine en quelque chose de riche et d’étrange. » Shakespeare La tempête, I,2 (cité par Barbara Cassin, Quand dire, c’est vraiment faire, Ed Fayard, p.105)

Pour ce numéro 94 TK-21 LaRevue poursuit ses investigations dans les strates les plus diverses de la culture contemporaine. Elle s’aventure comme toujours hors des sentiers battus quand c’est possible, et sinon redessine à sa manière la Carte du Tendre des évolutions récentes dans le champ artistique. Fil rouge de nos questionnements, les images, leur statut, leur fonction, la place qu’elles occupent aujourd’hui dans nos vies, sont toujours au centre de nos préoccupations. Car qui pourrait dire aujourd’hui pouvoir exister sans elles ? Mais elles n’existent pas seulement en tant que telles ces images, car toujours elles véhiculent sensations, émotions, messages, et c’est bien à l’interprétation de ce dont elles sont porteuses autant que des conditions de leur production et de leur réception qu’il faut être attentif si l’on veut prétendre parvenir à élever ce que nous percevons à la hauteur d’une connaissance.

Après plus de deux décennies de travail et d’attente, Martial Verdier publie, enfin, aux éditions Gwencatala, un ouvrage intitulé Les ambassadeurs. L’ouvrage co-préparé par Laurent Grisel est accompagné de textes de cinq poétesses et poètes. Livre rare et singulier, ces Ambassadeurs nous font éprouver une part essentielle du mystère que recèlent les images photographiques. Comme le remarque Anne Sultan, ces images posent une question essentielle : « Est-ce la photo qui s’efface ou le corps qui se désempreinte à force de regards ? » À vous de vous perdre dans cet échange de regards qui comme on le sait n’est jamais à sens unique.

Dans sa Logiconochronie XXXVIII, Jean-Louis Poitevin poursuit son décryptage de l’évolution et des mutations de la notion d’image à travers l’art du XXe siècle en interrogeant d’une manière peu conventionnelle la manière dont Marcel Duchamp pense l’image dans certaines de ses œuvres. Dans un second moment, il présente les concepts clés développés par Vilèm Flusser dans son ouvrage toujours d’une actualité théorique brûlante, Pour une philosophie de la photographie.

Nous poursuivons notre voyage dans l’univers infini d’Alexander Kluge avec un entretien entre lui et Jean-Yves Jouannais. Il y est question de batailles et de mots, d’écriture et de singularités historiques. Au moment de l’entretien en septembre 2018, Jean-Yves Jouannais venait de publier son ouvrage intitulé MOAB (Éditions Grasset) et Alexander Kluge était à Paris pour la promotion du second tome de la Chronique des sentiments, (P.O.L. Éditeur).

Artiste coréen vivant en France depuis plus de quatre décennies, Chong Jae Kyoo va montrer ses nouvelles productions au centre Le Mur de Moret-sur-loing, exposition dans laquelle il invite ses amis photographes plasticiens du Groupe Novembre dont il fut l’initiateur. Pour cette exposition intitulée Lumière portée, ses œuvres se situent dans la suite logique de son approche non dogmatique du visible comme composé de strates multiples qu’il obtient par un jeu savant et précis de découpes dans la chair même de l’image, comme le remarque dans son texte Jean-Louis Poitevin. La mémoire s’invite ensuite à la fête, faisant de ces œuvres des anamnèses sensibles dont la fonction est aussi de faire naître en nous des idées neuves relatives à la perception et à la représentation.

Bernard Perrine, qui nous a déjà fait l’amitié de nous offrir certains de ses textes, revient avec un essai sur la présence des animaux dans la photographie contemporaine. Il y remarque combien les animaux à une époque où ils deviennent l’enjeu de préoccupations autour de la possibilité de leur survie pour certains ou des manières de leur donner la mort pour d’autres, sont avant tout des vecteurs essentiels de l’imaginaire. D’instrument de vision à vecteur de transmission virale de visions paradoxales, toutes les fonctions de la photographie sont ici mobilisées pour nous faire découvrir la manière dont notre soi-disant réalité est traversée par la mémoire et la présence des bêtes dont l’incarnation dans des Bestiaires qui disent rarement leur nom, innerve nos esprits d’images puissantes.

Dominique Moulon nous emmène en voyage à Art Brussels, une importante foire internationale qu’il ausculte en sélectionnant des artistes engagés dans la production actuelle d’images nouvelles et d’art électronique. Mais il n’oublie pas de visiter d’autres lieux comme Kanal Centre Pompidou et de s’aventurer dans des lieux qui, à l’instar de Senne, Société ou l’Imal, participent au foisonnement artistique bruxellois.

Infatigable, Dominique Moulon a arpenté les travées du Salon de Montrouge et en a extrait pour nous quelques pépites. Le salon vient de fermer mais il est encore dans toutes les mémoires. Bonne visite !

Nous présentons la remarquable exposition réalisée par Diane Watteau et Hervé Bacquet au Musée d’art et d’histoire Paul Éluard de Saint-Denis. Les artistes retenus proposent, chacun, une méditation sur l’enfermement, qui est aussi le titre de cette exposition. « En écho au grand renfermement foucaldien, nous proposons un nouveau parcours à Saint-Denis, au musée d’art et d’histoire Paul Éluard qui sédimente son histoire sur l’existence d’un ancien monastère de carmélites. Des artistes y créent des brèches d’étonnement pour mieux explorer les frontières des vécus, des surfaces, des espaces, des couloirs, des voûtes, des galeries ou des cellules. »

[Les éditions LOCO dirigées par Éric Cez publient Captures, la première monographie d’Alix Delmas. Ce livre parfaitement réussi offre un parcours à travers les divers aspects de son œuvre et des réflexions d’amis et de critiques d’art. Jean-Louis Poitevin propose une lecture de ce livre en tant qu’œuvre, prolongeant ainsi les réflexions menées, ici, sur la vidéo Bloody Sea, (N° 75 et 76). Il propose une approche de ce travail à partir de la posture et du paysage.->1443]

TK-21 LaRevue
présente un ouvrage de Christine Delory-Momberger publié chez Arnaud Bizalion Editeur. Elle a quitté les rives sages de la réflexion universitaire pour se lancer dans l’aventure d’un travail de réminiscence autour de thématiques biographiques transnationales. Nous présentons des images et des poèmes extraits de ce livre qui sont accompagnés de quelques réflexions de Jean-Louis Poitevin.

Dans le cadre de nos échanges fructueux avec la revue Corridor Éléphant, nous publions des extraits d’une série d’images d’Alain Licari. Il a beaucoup voyagé et travaille la photographie à la frontière entre reportage et art et ce d’autant plus que l’un de ses sujets favoris ce sont précisément les frontières et ce qui s’y passe, s’y joue. Vivant maintenant aux USA, il nous propose avec We could be heroes, just for one day, un portrait de Slab city, une ancienne base militaire, devenue « ville » se déployant aujourd’hui sur une étendue de terre de plusieurs hectares et qui abrite des milliers de personnes vivant en marge de la société américaine.
Corridor Éléphant, publie dans son édition papier, NiepcebooK, une interview de Martial Verdier qui parle entre autre de la genèse de TK-21 LaRevue. Vous pouvez la trouver ici, attention édition limitée.

Pour sa première expérience de commissaire d’exposition, Victor Bramsen propose un ensemble rare d’affiches de Mai 68. Retrouvées dans le grenier de son grand-père, Peter Bramsen le grand lithographe compagnon de route de nombreux artistes, et lithographe exclusif d’Alechinsky depuis des décennies, il a pu les exposer dans la petite galerie de l’atelier Clot Bramsen & Georges que dirige aujourd’hui Christian Bramsen. C’est moins une histoire de famille que de transmission qui se joue, à la fois par les aventures resurgissant du passé, le passage de relais que cette exposition implique et surtout par le vent frais que cela fait souffler sur nos mémoires fatiguées en cette période troublée. Voir cette exposition, c’est à la fois remonter le temps et s’apercevoir que presque rien n’a changé dans les rapports sociaux. C’est pourquoi, d’ailleurs, « Le Combat Continue ! »

Nous poursuivons avec Guillaume Dimanche notre exploration unique du Qatar avec, cette fois, une thématique à la fois bio et oil. « Depuis 80 ans seulement sortent des sous-sols, voisins de l’eau filtrée, des poches et des réserves de vieilles roches liquides, des amas de biosphères transformés, des hydrocarbures, des CnHn, du pétrole et du gaz. Ils ont fait la richesse, ils font le pouvoir. Ils ont transformé le paysage, le confort des hommes. » Face au pétrole, le désir et le besoin de transformer le désert en terre fertile. La tension est extrême entre les deux visages de ce pays.

Laetitia Bischoff évoque dans sa chronique la bohème. Pas celle des sous-pentes parisiennes, l’autre, la contemporaine, la campagnarde. Elle le fait à partir d’images de Antoine Bruy-Scrublands et de Ian Mc Kell « À celles et ceux si loin des médias et des maisons en cube : La bohème n’est pas morte, elle n’est pas pauvre, elle est riche de sa lenteur et de son ton fleuri de mille et unes manières d’être, comme une mutation perpétuelle en fonction du paysage. » Et c’est avec un poème qu’elle nous guide aujourd’hui vers ces habitants si peu visibles.

Christian Globensky poursuit dans TK-21 son investigation des territoires non vus à l’intérieur des musées et des lieux voués à l’art aujourd’hui. C’est au CAPC de Bordeaux qu’il nous emmène. La visite singulière qu’il nous propose est accompagnée par un texte de l’auteure Laurence Gossart qui remarque en particulier à propos des images ici montrées « qu’elles parlent du lieu ces images, le documentent mais surtout le subliment. Elles traquent l’absence et l’éloquence des matières en présence. J’aime que ces photographies lèvent le voile avec indiscrétions mais délicatesse sur des pans d’intimité du lieu. »

Xavier Pinon et Martial Verdier poursuivent leur exploration de l’ancien bassin sidérurgique de Longwy, aujourd’hui en déshérence. Mais de nouvelles pousses voient le jour, car ici, certes réduite aux acquêts, la vie pourtant continue. Ce sont les zones commerciales dans lesquelles ils nous entraînent et ils nous en livrent une vision si précise mais si désertée par les hommes qu’il nous semble découvrir, avec angoisse, un royaume sans roi mais sans peuple, l’envers exact de celui dans lequel nous croyons vivre.

Nous terminons ce numéro avec S02-E04 de Virginie Rochetti qui nous propose une nouvelle animation vidéo dont elle a le secret. En quelques dizaines de secondes, elle nous transporte dans un monde imaginaire peuplé de figures qui pourtant nous ressemblent si bien que nous parvenons à la fois à rire et à pleurer car telle est la puissance des images, celle de faire remonter en nous les émotions rentrées et le bruit des chaînes de l’histoire dans le silence des souffles coupés.


Photo de couverture : Martial Verdier, 001-EB, Les Ambassadeurs

De nombreux problèmes subsistent encore pour des utilisateurs de Safari. Le mal semblant être profondément ancré chez Apple, nous vous conseillons de lire TK-21 sur Firefox ou Opéra par exemple.
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