dimanche 26 mai 2019

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Mémoire au cœur

Exils / Réminiscences, un livre de Christine Delory-Momberger

, Christine Delory-Momberger et Jean-Louis Poitevin

Christine Delory-Momberger quitte les rives sages de la réflexion universitaire pour se lancer dans l’aventure d’un travail de réminiscence avec images nombreuses et poèmes rares. L’ensemble met en scène un voyage à travers l’épaisseur de la perception du temps, du temps de la psyché plus que de l’histoire, du temps des vécus émotionnels plus que des faits, du temps porté par des images qui sont elles-mêmes des images d’images, du temps embrouillé d’une histoire familiale remplie d’exils qui traversent l’Europe entière sur des générations. Elle en tire un livre en trois volumes publié aux édition Arnaud Bizalion.

Titres évocateurs

exils/réminiscences, tel est le titre de cet ouvrage de création photographique et textuel qui nous conduit moins à remonter le temps, à arpenter nos mémoires historiques ou à déplier l’impossible sur la table du présent, qu’une véritable méditation sur ce qui reste quand tout a déjà été effacé.

Elle explore cette zone où la mémoire ne sert pas à grand chose puisque souvent elle n’a même pas existé quand il s’agit de gens ayant vécu avant nous, et pas non plus sur des souvenirs d’enfance ou lointains, car le broyeur de la vie fait son travail qui empêche le poids de « l’humus noétique » comme le nomme Bernard Stiegler, de nous faire ployer les épaules. Mais dans un recoin de cet humus dans un recoin du cerveau où quelqu’autre mécanisme mnésique loge, de temps en temps remontent des signaux qu’il faut bien finir par prendre en compte.

C’est ce qu’a fait Christine Delory-Momberger en confrontant le regard indifférent de l’appareil à des images déjà existantes qu’elle a rephotographiées souvent avec des jeux sur le flou, en vue de faire remonter non pas un souvenir ou des souvenirs mais le fonctionnement de la mémoire, celle qui persiste à clignoter quand tout ou presque a été effacé.

Elle joue alors sur des visages et des corps des situations incernables et des éléments évocateurs mais à la limite de la signification. Elle s’empare de lettres et de mots, et ainsi met à jour la trame profonde de ce qui fait mémoire, une trace laissée par l’oubli d’un quelque chose que l’on doit recomposer pour qu’il existe à nouveau même faiblement et que des signaux d’un autre type viennent s’inscrire à leur tour dans l’activité cérébrale du jour et ponctuer de leur éclats fragiles nos espoirs défaits.

Et alors on peut lire tel un poème en trois courtes strophes les trois titres des trois volumes, dans un ordre ici volontairement inversé, de ce coffret d’un noir et blanc prégnant et déjà commencer ce voyage entre mots et images qui défilent au gré des pages. Des disparus / les vivants // dans le souffle / du labyrinthe // tendre les bras/ au-dessus des/abîmes.

Et, oui, il faut bien le constater, c’est cela que nous sommes, c’est là que nous nous trouvons encore et toujours, portés plus encore que hantés par ce non temps de l’humus noétique dans lequel la mémoire n’est qu’un sourire qui s’efface mais s’ingénie à nous interpeller à cet instant même.

tendre les bras au-dessus des abîmes

jaillissantes
furtives
lancinantes
des figures reviennent
le temps de les saisir
du souvenir
disparaissent
reste leur empreinte
dans la chair de l’âme

springing
stealthy
harrowing
returning figures
they disappear
at the very moment
when I just grab them
remember them
their trace remain
in the soul’s flesh

+++++++++++

dans le souffle du labyrinthe

la neige d’abord
l’air glacé
l’hiver
le calme sourd
une petite vie
qui vient
accrochée

qui sera
des visages
par effraction
des corps
par défaut
la violence
qui bruit
insaisissable
petits fantômes
vont
une langue
qui repousse l’autre
les mots
qui libèrent
qui délient
des origines
qui scellent
de leur musique
le sommeil
de l’oubli

first the snow
the icy air
winter
deaf calm
a small life
that comes
hooked
there
and will be
intruding
faces
hollowed bodies
the violence
that sounds
unseizable
small ghosts
go
a tongue
pushing away the other
words
freeing
releasing
from their origins
sealing
with their music
the sleep
of the oblivion

+++++++++++

des disparus les vivants

la frontière
n’est plus
de l’herbe
pousse
maintenant
contre la barrière
d’une maison
désertée
le temps a passé
il fallait vivre
s’enfoncer
dans les heures et les jours
du nouveau pays
devenu maintenant le sien

nevermore
the border
grass
is growing
now
against the gate
of a deserted
house
time is gone
one had to live
to sink, deeper
into the hours, into the days
of the new country
now on, his

Exils Réminiscences, Arnaud Bizallon Éditeur,
FF 17 x 23 cm, 3 carnets de 64 pages, impression bichromie sur couché demi-mat 150 g. Etui. Français/Anglais
ISBN 978-2-36980-173-3 EAN 9782369801733 – PP 32 € - A2 – Parution 24 avril 2019

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