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Le babillement d’un bébé
Patrick Dekeyser
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Miracle de la voix, miracle de la parole, miracle de l’étonnement, miracle de l’émotion et dans le creuset de la pensée s’étire comme l’ombre d’une chose essentielle approchée, frôlée et sans que personne n’ai rien fait pour ou contre, mise de côté, écartée, occultée repoussée et finalement oubliée.
Quand soudain, surgissant du plus profond de l’humus mnésique, ce qui fut vécu sans qu’on puisse s’en souvenir revient, remonte, resurgit et explose sur les contreforts de l’oreille interne, en petits paquets de sons excavés jusqu’à l’os du sens.
Un souvenir se forme dans le retour inattendu d’un même décalé par la magie des années passées à oublier. Adulte, bébé, adulte, et entre les deux le gouffre de ce qui soudain semble si émouvant et qui fut nuit sombre et angoissante déréliction et que l’on ne peut ni ne veut faire revenir sous cette forme.
Alors se joue la scène indéfiniment reprise par les êtres dépités que nous sommes de la reconduction ludique de l’évidence d’un souvenir recomposé qui malgré les apparentes apparences enfonce encore plus profondément dans l’humus mnésique le geste par lequel les hommes continuent d’avancer en se refusant à voir qu’ils ne font que creuser, non pas leur tombe, mais le lit où abriter leurs larmes, celles qui coulent quand on découvre qu’on ne veut pas savoir
Il reste à tuer une seconde fois l’enfance en soi en croyant rire avec l’enfant et à l’inscrire dans ce processus qui le plongera à son tour, chose balbutiante prononçant des dictats plus puissants que les mots criards et vains des adultes, dans le déni de ce qu’il aurait pu être, de ce qui, en prenant en charge la langue comme une offrande à offrir, aurait pu naître par elle.