lundi 1er avril 2024

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Hörspiele, musique Concrète/Acousmatique

Écritures du réel et « audio-hétérotopies »*

Amandine Casadamont, artiste sonore

, Amandine Casadamont

* Par « audio-hétérotopies » nous entendons la diversité des sons sur lesquels se pencher afin de faire apparaître la singularité des espaces sociaux qu’ils marquent.

En septembre prochain, je fêterai mes 30 ans de radio ; trente années au cours desquelles j’aurai expérimenté presque toutes ses facettes. De la plus didactique à la plus expérimentale, de la plus simple à la plus élaborée, de la grande diffusion à la micro diffusion. J’aurai vu naître le digital et avec lui, peu à peu, la naissance des formats compressés sans exigence. Une perte du détail et d’amplitude du son. Constat récemment fait lors de l’enregistrement de ma dernière pièce radiophonique Micro impossible [1] que nous avons enregistrée à la fois en numérique et en analogique. À la réécoute, l’enregistrement sur bande était plus ample, plus dynamique, plus incarné. 
Mais avant ma rencontre avec la radio il y a eu le temps passé avec mon grand-père non voyant. Il m’a appris à être attentive aux autres et à écouter l’espace sonore dans lequel je me trouvais. Ainsi mes oreilles ont été éduquées très tôt. 
 
J’évite les lignes droites, et la répétition m’ennuie. J’aime la diversité et le mouvement. 
Je mêle les genres, les langages et les dispositifs. Je travaille souvent seule ou en binôme.
 
La place de l’intuition est l’un des maillons forts dans mon processus de création. Elle intervient à différentes étapes et me permet d’être efficace et d’ajuster mes choix. Mes créations naissent au contact du terrain, de l’observation et de l’écoute. J’enregistre un territoire et me sers de la situation pour improviser et pour faire naître quelque chose. Tout comme l’a formulé Jean-Luc Godard : « Je fais ce que la situation me dicte ». [2].

La mise en scène et le montage ont une place centrale dans mon travail, où la frontière entre le documentaire et la fiction s’invisibilise. J’écris souvent au moment du montage, après avoir fait l’expérience du terrain. C’est généralement là que la forme se dessine. Le montage révèle à la fois une esthétique et le cheminement d’une élaboration. C’est une méthode d’écriture qui joue avec le rythme, le silence et les superpositions. Le moyen de parvenir à un tableau, une peinture parlante.

Au croisement de différents genres, le fond dicte toujours la forme et rarement l’inverse. Par moments, c’est la parole qui s’impose, parfois elle est peu présente, voire quasi inexistante. Mon choix de l’usage des mots dépend des situations et des sujets. Il s’agit de trouver la meilleure forme pour raconter une histoire la plus pertinente compte tenu du sujet. Welcome to Nay Pwi Taw [3] réalisé avec Alexandre Plank est un portrait politique de la récente capitale birmane, tout en son, une composition entre la musique concrète et le documentaire.

Dans ma pratique artistique, je refuse de me laisser enfermer dans une esthétique, une mode, un conformisme. 
La plupart du temps mon travail repose sur des événements et des espaces réels où le fantastique se glisse dans un espace concret documenté.

Aujourd’hui ma pratique du son est au croisement de la pièce radiophonique, de la performance et de l’installation sonore. Partant souvent de constats et de problématiques socio-politiques, la majorité de mes pièces questionne les manières de faire de nos sociétés. Je relate une réalité dans diverses cultures et situations géographiques sur des territoires parfois périlleux comme dans le nord-ouest du Mexique avec Zone de silence [4] ou à Fukushima avec Césium 137 [5] et retour possible.

Retour possible - Namie Fukushima
credit Casadamont

De mes études d’histoire, j’ai gardé un attachement pour l’archive. Je crois qu’à partir de l’archive, on peut créer une matière et porter une réflexion très actuelle. Il s’agit d’un passé qui relève de l’histoire du présent. Le panoptique spatial [6] collage d’archives sonores réalisé pour La nuit de la radio en est un exemple. 

En parallèle de mon travail de pièces et d’installations sonores, depuis 2015 j’ai développé une pratique liée davantage à la musique expérimentale d’improvisation. Avec des lives sur trois ou quatre platines vinyles comme La dernière heure kind of hörspiel mix, performance primée en 2016 au New York Festival en « sound art category » et des duos avec d’autres musiciens comme le projet Harpon [7] avec Jean-Jacques Birgé, le projet Émeute [8] avec Olivier Lasson ou plus récemment mon duo avec Madeleine Leclair, ethnomusicologue.

Amandine Casadamont - CHASSEURS - extrait
image © David Velez
Ecoutez en totalité sur France Culture

Notes

[2Le bon plaisir, France Culture, 20 mai 1995, Jean-Luc Godard au micro de Jean Daive

[3Welcome to Nay Pyi Taw, France Culture, Deutschlandfunk kultur, 2018
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/creation-on-air/welcome-to-nay-pyi-taw-4199801

[6Le panoptique spatial, Nuit de la radio 2022, SCAM, en partenariat avec l’INA
https://www.ina.fr/actualites-ina/nuit-de-la-radio-2022

[7Projet Harpon, duo avec Jean-Jacques Birgé
https://jjbirge.bandcamp.com/album/harpon

Amandine Casadamont
Portfolio pdf
image © Romina Shama

Image d’introduction : Amandine Casadamont - BXL, credit Alex Merlin