jeudi 1er décembre 2022

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Des garçonnières

notes d’Hannibal Volkoff sur ses propres images

, Hannibal Volkoff

La dernière exposition d’Hannibal Volkoff qui a eu lieu à la galerie Simon Madelaine

« Nolwenn et Igor se maquillent »
Photographie numérique, 2015, 37,5x25cm, 1/7, 300 euros

Il m’a semblé évident de commencer l’exposition avec une image de maquillage dans la salle de bain. On y projette autant l’idée de la valorisation, dans une volonté de séduction, régulièrement sexuelle, que celle du devenir-autre, fictionnel, imaginatif, transformant l’appartement en théâtre –ici sur le thème de l’asile psychiatrique au XVIIIe siècle. Et le lieu, la salle de bain, comme espace de recueillement et de discussion intime, comme calme avant (ou pendant) la tempête.

« R. avalant du lubrifiant »
Photographie numérique, 2010, 39,6x25cm, 1/7, 300 euros

A propos du geste absurde, l’acte incohérent de soirée que l’on peut considérer comme rituel adolescent. Alors que l’on demande à l’adolescent de commencer à s’intégrer dans les lois sociales, des études et du marché, du point de vue du langage, du travail, ou encore de l’habillement, il développe dans ses parenthèses nocturnes un art de l’absurde qui n’appartient qu’à son âge et qui ne s’épanouit que par la confrontation inconsciente de cette soudaine et nouvelle pression sociale. Il m’a semblé que cette photographie, comme exemple, avait sa place dans l’exposition

« KC. au milieu des garçons »
Photographie numérique, 2020, 37,7x25cm, 1/7, 300 euros

KC. se faisait prendre en masturbant le garçon à sa gauche. J’aime bien ce plan où l’on aperçoit en premier les fesses de ceux qui attendent de la pénétrer aussi. Là où leur but était dominateur, consistant à baiser en tournante la même fille, l’angle leur donne un côté soudainement enfantin. Certains disaient que l’un d’entre eux (les fesses de gauche, je crois) était vierge. Elle : souriante, assurée.

« F. et R. remontent les marches de mon immeuble »
Photographie numérique, 2021, 37,5x25cm, 1/7, 300 euros

Nous étions sous 3MMC ce soir-là, c’était une de nos habituelles soirées bdsm. Au milieu de la nuit F. et R. ont voulu sortir de chez moi et se balader nus dans la rue. Je les ai suivi avec uniquement une chemise. Nous étions en novembre 2021, je ne sais pas comment nous avons échappé à la pneumonie. Et si vous me demandez pourquoi R. avait un marteau à la main, je ne saurais vous répondre.

« Joanna et Sorrel dansent »
Photographie numérique, 2021, 37,5x25cm, 1/7, 300 euros
« Lecture sur Spinoza »
Photographie numérique, 2019, 37,5x25cm, 1/7, 300 euros

Dans mes soirées où nous sommes plus de trois, j’ai toujours envisagé les passages sexuels éventuels comme des moments normaux, désacralisés. On baise comme on discute, boit, danse ou trace. C’est nécessaire pour ne pas exclure. Pendant que J. baisait E., Franck et moi parlions de son livre sur Spinoza. Si mes souvenirs sont bons, il s’agit du « Miracle Spinoza » de Frédéric Lenoir. C’est important Spinoza. Pour revenir au sexe, dans une bonne soirée les places sont interchangeables et les occasions de baiser doivent garder en elles quelque chose d’inconséquent. C’est pourquoi j’ai toujours préféré le terme « orgie » à celui de « partouze » ; il ne faut jamais que le sexuel devienne une étape obligatoire. Dans cette photo, nous nous sommes rendu compte un peu plus tard que nous avions oublié de retirer les feuilles d’orties du canapé.

« Le pénis de Sucre d’Orge »
Photographie numérique, 2015, 37,5x25cm, 1/7, 300 euros
« Serena vomit dans sa cuisine »
Photographie numérique, 2022, 37,5x25cm, 1/7, 300 euros

Dans une exposition sur les soirées dans les appartements, il est logique de montrer la phase du vomi. Parce que notre but, dans les soirées, consiste régulièrement à chercher ce qui, dans nos corps, est susceptible de déborder. La jouissance en trop – et puis de trop comme si nous devions nous en punir. Cette image est une mise en scène. J’ai déjà essayé de prendre en photo des amis qui allaient vomir, mais il faut être très rapide, penser aux réglages, à l’angle, etc. C’est compliqué. J’ai pensé plus tard à reproduire l’acte en mise en scène. Je lisais Baudrillard, qui parlait de la photographie comme « nostalgie du présent », puisqu’à travers le numérique nous avons tué dans l’image ce qu’il y avait de réel. Je me disais que nous organisons des soirées en nostalgie d’autres soirées – lointaines, idéalisées ; à partir de là, quelle différence entre le réel et son imitation ?

« Sarah ensommeillée »
Photographie numérique, 2017, 38,56x25cm, 1/7, 300 euros

A partir d’une certaine heure, on croise régulièrement dans l’appartement des gens qui s’endorment. Ici, Sarah s’était assoupie en plein milieu des Salons Mocchia di Coggiola, sur cette table devenue lit. Je me demande de quoi on peut rêver avec un tel boucan autour (musique hurlante, discussions et danses). J’avais d’autres photographies de corps endormis, sous la table, ou étalés entre la cuisine et le salon, mais leurs propriétaires n’auraient pas voulu les voir publiées.