lundi 1er janvier 2024

Accueil > Les rubriques > Cerveau > Camille & Catherine, mes muses bottées

Camille & Catherine, mes muses bottées

notes sur le fétichisme en photographie

, Yannick Vigouroux

Camille et Catherine, deux prénoms féminins arborant les mêmes initiales, et qui ont en commun d’avoir posé régulièrement pour moi ces deux dernières années. Je photographie en effet inlassablement celles que je considère depuis comme mes « muses bottées », pour utiliser une expression quelque peu surannée, ce qui n’est pas pour me déplaire...

J’ai rencontré Catherine — alias « Catherine C-Mode » son pseudonyme de modèle ou « Cathy Meli », son pseudonyme de chanteuse — en janvier 2022. Elle avait accepté de poser pour mes portraits au Fuji Instax Wide et Square (Fuji Instax : cette marque japonaise qui concurrence aujourd’hui l’ancien géant américain Polaroid) et une complicité s’est toute suite nouée entre nous. Ces photos sont "doublées" au smartphone avec l’application « Vignette » réglée sur son mode « Diana » qui comme son nom l’indique permet d’obtenir un effet de vignettage, ainsi qu’une douce saturation des couleurs...

J’ai aimé d’emblée la sensualité un peu froide et distante de Catherine qui m’avait attirée dans les photographies de son book.

Camille a une personnalité plus expansive, je réalise des portraits d’elle, de manière plus sporadique toutefois qu’avec Catherine, depuis novembre 2021.

Les poses que je suggère à Camille et Catherine d’adopter sont volontairement stéréotypées et référencées à l’histoire de l’art ou de la photographie, mais je leur laisse aussi beaucoup de liberté et encourage leurs initiatives : Catherine décide ainsi de poser allongée telle une odalisque sur mon canapé, ou assise sur une chaise, les pieds parfois posés sur une sellette indienne achetée il y a longtemps dans une brocante, ce punctum barthésien que je retrouve dans les portraits cartes de visite Second Empire que je collectionne justement, et qui regorgent de petites tables ou cale-pieds en bois pour les bottines.

Le portrait féminin dans le cas présent est avant tout une rencontre, un échange et non pas une soumission, comme cela est souvent dit aujourd’hui, au regard dominant masculin. Le patriarcat a, c’est peu dire, mauvaise presse désormais, pour de bonnes… mais aussi de mauvaises raisons. En réaction à ce regard masculin dominant qui réifie le corps féminin (nu ou pas), j’ai pour la gouverne du lecteur accepté de poser nu pour des femmes photographes de talent (Juliette Méliah, Francesca Sand...)

Sans cette interaction en tout cas pas de portrait possible selon moi. Alors que je poursuis depuis bientôt un an mon exploration des différentes poses de ces femmes sous mon regard polymorphe, je découvre cette définition du portrait par Thierry Girard à propos de ses photographies réalisées en Chine, à laquelle j’adhère complètement (cf. le remarquable Dans l’épaisseur du paysage, éditions Loco, 2017, coécrit avec Yannick Le Marec) : « Un portrait, c’est un échange instantané qui nécessite un peu de tension et d’inquiétude réciproques (un "quickie" comme on disait autrefois pour désigner un acte sexuel rapide). »

Déclencher avec un flash est comme une décharge électrique, sur la surface du film à développement instantané l’apparition en quelques minutes de l’image est en revanche d’une douce lenteur… J’aime ce paradoxe.

Ma vision est, je le reconnais, idéalisante, mais sans esthétisme, un travers de la photographie plasticienne actuelle dite « pauvre » — j’ai inventé le concept de « Foto Povera » avec Rémi Guerrin en 2005 — dont je me méfie beaucoup, et n’espère pas avoir été un des instigateurs…

Les jambes des femmes sont selon François Truffaut « des compas qui arpentent le globe terrestre en tous sens et lui donnent son équilibre et son harmonie » ; celles de mes modèles sont souvent bottées, fétichisme qui hante aussi mes photographies de rue et de métro et que j’assume pleinement. (Pour Truffaut rappelons-le, il s’agissait des chaussures à brides !)

Novembre 2023

 

 

cliquez pour agrandir