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Cabinet de curiosité
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Si j’étais une Curieuse avec un bout de maison destiné à mes trouvailles remarquables, si mes poches étaient pleines et mon temps voué à m’y consacrer, j’y ferais enter les œuvres d’Olivia Benveniste, de Claudia Fontes, de Pascale Klingelschmitt et de Kate Mc.Guire.
Les travaux de ces quatre femmes m’offriraient un raccourci du monde en ce qu’il a de plus notable, bizarre peut-être. Et si les Curieux du passé distinguaient au cœur de leur cabinet les œuvres de Dieu de celles de l’homme, cette distinction est aujourd’hui bien floue et gare à celui qui s’aventurerait à en tracer quelque frontière. D’ailleurs, les œuvres de ces quatre plasticiennes sont sûrement le signe de vie d’un tout autre univers qui se signifierait par bribe, par petits bouts d’indices. Comme les signaux catapultés d’une civilisation autre, comme un coffre au trésor trouvé dans un OVNI échoué. À ce titre, le cabinet a toujours nourri autant de légendes que de connaissances unes à unes dos à dos. Alors imaginons que mon savoir est plus étroit que le chat d’une aiguille, que le monde me vient par ces créations dont il s’agit de tirer le fil, et qu’il me faut emplir de supputations les pourtours de ces images et de ces objets. Imaginons que la science n’a pas encore fait son lit dans chacun de nos cerveaux, qu’elle n’ait dompté nos schémas neuronaux et visuels, que les catégories, les rangements soient purs instincts personnels. Je laisse mon imaginaire emplir les creux de mon ignorance. Ma scénographie, pleine de vagues et de rebonds tourne le dos à la cohérence pour trouver une harmonie de microcosme.
Le travail, en tous sens précieux, d’Olivia Benveniste a la froideur clinique d’une restitution archéologique. Il nous prosterne devant des indices de pieds et de hanches, des extraits, semble-t-il, d’êtres dont j’inventerai les échelles et les matières. J’emplirai de textures et de lacté ce blanc que la dessinatrice sculpte en revers à l’image de ce noir qui nous boit entre chaque étoile, chaque nuit. Le possible ou le complet, l’indice ou la description complète… Olivia Benveniste vient-elle d’un univers dénué de contexte ou est-elle l’émissaire naturaliste d’un royaume ?
- Olivia Benveniste - Ronde de pieds et ronde de hanches, 2018 série de 2 dessins pastel et crayon de couleur sur papier
Les œuvres de Pascale Klingelschmitt, forment des restitutions en moulage de verre et de terre. Un dispositif de contenants lisses empoigne une biologie recueillie, je ne sais sous quelle latitude, surement arrachée à une symbiose construite par les siècles comme celle merveilleuse des plantes et des levures. Les œuvres de Pascale Klingelschmitt imposent un éclairage d’espace sans fenêtres, presque souterrain. Elles appellent en creux des mains gantées aux gestes calibrées. Une presque-vie opaque est prête à balbutier sur des cercles fermés, embouteillée comme une multitude de souffles sous marins. Les non-transparences sonnent comme un présage d’une chirurgie glacée sans indice de vocation bien ou malveillante.
- Pascale Klingelschmitt - les eaux fortes 2014/2016 pâte de verre
Dans sa série Foreigners, Claudia Fontes nous restitue les signaux d’organismes vivants aux jambes humaines, parfois seuls parfois agglutinés, dans cette matière frêle d’un blanc innocent, d’une porcelaine précieuse. Ce sont des corps faits d’herbes folles, de feuilles de toutes formes, déployées ou repliées, parfois avec un vent ou un tourbillon, des corps faits d’amas de pierres plates qui cherchent l’équilibre, des corps de boules de toutes tailles, d’une peau élastique de corail, d’éponge ou de mousse. Ces figurines ont un courant d’air pour ventre. Végétaux et minéraux poussent en entrailles, boursouflent l’être qui s’adapte, mute 100 fois grâce aux compositions complexes de Claudia Fontes. Comme une excuse d’être comme un rebours d’existence, leurs ventres et leurs têtes sont prêts à se confondre avec ce qui les entourent pourvu qu’ils durent, pourvu qu’ils tiennent sur jambes. Une énergie intrinsèque semble parcourir chaque Foreigner, comme si l’identité circulait au même titre que le sang, comme si l’entièreté ou la semi-permanence d’un corps s’indexait, mouvant, au rythme cardiaque.
- Claudia Fontes - Foreigners Flaxseed paper porcelain Series in progress since 2013 Approximate measurements of the figures : 23 x 5 x 6 cm
La pleine maîtrise taxidermiste de Kate Mc Guire nous offre l’antichambre d’un monde animal d’une nouvelle ère climatique. La plume règne sans tête mais en enchevêtrements exquis. Un être se tord de chaos, d’encablures tressées ? Est-ce le signe culturel d’une civilisation inconnue, ou l’avènement d’espèces non-conventionnées pour notre atmosphère ? Sous cloche ou empêtrées dans une cheminée, le sauvage est une ligne tortueuse perdue dans un contexte bourgeois. Quelle incantation faut-il pour éveiller ces bêtes, pour faire tressaillir ses plumes et voir se mouvoir une existence rêvée ?
- Kate Mc Guire- SCUFFLE, 2017 Mixed media with pheasant feathers in cabinet 61 x 68 x 48 cm
Ces quatre artistes ont extrait un certain nombre de formes, et cette extraction s’habille, chez chacune, d’une finition soignée digne des plus belles et complètes extractions. Au XVIe siècles, dents et cornes venues du Congo laissaient présager une vie animale ahurissante et fantastique. Alors l’imaginaire européen enfourchait une logique, pourquoi celle-ci plutôt qu’une autre, entamait un travail de projection mentale, prenait chaque ligne vue, tenue ou cartographiée, pour la poursuivre vers une finition extraordinaire et irréelle. Je vous l’ai dit, ce texte n’est ni une analyse ni une description plastique, mais une digression louche et dépourvue de sagesse pour jouer des correspondances, des possibles points d’accroche. On ne peut s’aventurer auprès des œuvres d’Olivia Benveniste, de Claudia Fontes, de Pascale Klingelschmitt et de Kate Mc. Guire sans en prendre un coup aux sentiments. L’étrange et pourtant ressemblant a cela d’inquiétant qu’on ne sait si cette gêne qui nous traverse n’est pas entièrement proche, nôtre, interne.
Couverture : Olivia Benveniste - Ronde de pieds et ronde de hanches, 2018 série de 2 dessins pastel et crayon de couleur sur papier