jeudi 29 décembre 2022

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C’est du jazz latino 10

Le podcast TK-21

, Pedro Alzuru

Nous allons dédier ce programme au Jazz Latino en Europe, dans une première approximation où les interprètes les plus visibles sont nécessairement considérés, puis nous pourrons dédier des programmes à des pays précis dont l’histoire, surtout due à leur présence coloniale en Amérique, les cas du Portugal, de l’Espagne, de la France, de la Hollande, de l’Angleterre, impliquent une relation plus complexe et une présence de musiciens afro-américains depuis le début du XXe siècle dans les métropoles.

C’est du Jazz Latino 10 (Europe)

Dans de nombreux cas, la présence du jazz en Europe a commencé avec les groupes musicaux de l’armée nord-américaine qui ont diffusé ce genre musical dans le cadre de leur politique d’État, tout comme cela s’est produit au même moment en Amérique latine. Dans ces bandes militaires la présence de musiciens latinos et caribéens est bien documenté.

Les historiens et critiques du jazz et du latin jazz documentent la présence des musiciens de jazz en Europe dès le début du XXe siècle. Par exemple, on note que l’influent pianiste de blues Jimmy Yancey était en Europe entre 1912 et 1913.

Des musiciens de jazz renommés, seuls ou avec leurs groupes, ont préféré l’Europe parce qu’ils se sentaient mieux traités par le public européen, comme Noble Sissle, Sidney Bechet, Sam Wooding et bien d’autres.
Ce qui est moins bien documenté, c’est que ces musiciens ont été tour à tour exposés à la fois au tango et à la musique caribéenne, des îles espagnoles et françaises, qui a la même époque avaient atteint des pays comme la France et l’Angleterre, avant même d’arriver aux États-Unis.
La soi-disant "ère du jazz" en Europe, dans la mesure où des recherches plus rigoureuses, moins impressionnistes, sont menées, déterminant la présence de musiciens de tout le continent américain, noirs et blancs, du nord et du sud, de genres aussi divers que le jazz, le tango, la biguine, le calypso, la habanera, etc., devrai être reconnue comme quelque chose qui était à la fois l’époque du jazz et du tango ou le début de la « teinte espagnole », comme le disait Jelly Roll Morton, ou le début de la fusion plus correctement.
Il faut reconnaître que les musiciens noirs américains, comme les musiciens européens et les musiciens blancs américains, latino-caribéens, et des origines les plus diverses, bien que ceux cités ci-dessus soient les plus nombreux, ont travaillé dans un milieu imprégné d’inter-influences latines et multiples. Un seul exemple, par son importance, par l’impact qu’elle a eu à Paris et dans une bonne partie de l’Europe, permet d’illustrer ce qui a été dit précédemment, sur les scènes de la musique populaire en Europe au début du XXe siècle, la présence de Joséphine Baker et des musiciens qui l’ont accompagnée dans ses spectacles. Pour cette raison, la présence et l’influence latines dans divers rythmes de danse à partir des années 1920 ont attiré l’attention de nombreux chercheurs.

Actuellement, l’Europe compte quelques groupes de jazz latin de qualité, comme Nueva Manteca, dirigé par le pianiste néerlandais Jan Laurens Hartong, qui comprenait le timbalier portoricain Nicky Marrero, un vétéran de la salsa et du jazz latin, de 1989 à 1993 ; Irazú, initialement basé en Allemagne et dirigé par le flûtiste et saxophoniste chilien Raúl Gutiérrez Villanueva, avec qui ont enregistré de prestigieux solistes invités tels que Kenny Kirkland et José Luis Quintana « Changuito » (Big Band) ; Conexión Latina, fondée en 1980 par le tromboniste allemand Rudi Fuesers ; et, en Angleterre, The Latin Section, du percussionniste « Snowboy » (Mark Cotgrove), et Grupo X, du tromboniste Jonny Enright. La présence des musiques latines sur le vieux continent ne peut bien sûr pas être réduite à la contemporanéité, disons ce qui s’est passé au cours des quatre dernières décennies, la relation commence bien plus tôt, par exemple la présence de musiciens antillais (de Martinique, de Guadeloupe et Haïti) est documentée en France, plus précisément à Paris, depuis les premières décennies du XXe siècle.

Si la mondialisation commence avec les voyages de Colomb et de Magellan, la preuve de la rotondité de la terre, du tour du monde, de l’arrivée possible aux Moluques, les îles aux épices, partant de l’Europe, bordant l’Amérique du Sud puis à travers Pacifique. Avec des conséquences inimaginables tant pour les navigateurs portugais et espagnols dont les royaumes se sont partagé le monde, que pour les Amérindiens qui sont entrés dans cette mondialisation comme esclaves aux côtés des Africains déracinés de leur territoire et de leur culture. Dans le jazz latino, ce processus est culturellement synthétisé, les instruments et la musique des Européens, transmis aux esclaves américains et africains dans les îles des Caraïbes et sur tout le continent américain, n’ont pas été reçus comme de la pure consommation, ils ont été retravaillés, enrichis par les musiciens africains et américains ; dans la mélodie, l’harmonie et le rythme, purifiaient lentement ce produit qui revient en Europe achevant la circumnavigation.
Les musiciens de jazz européens, passionnés de latin jazz, n’ont pas non plus reçu cette influence comme pure consommation, ils ont contribué de manière créative à ce genre de latin jazz et à son processus de légitimation et de mondialisation.
Au moins depuis la seconde période d’après-guerre, les musiciens européens et leurs auditeurs ont apprécié ce genre qui, comme Jelly Roll Morton l’avait pressenti et John Storm Roberts l’a affirmé avec le luxe des détails, a toujours été une affaire afro-euro-latino-américaine, c’est-à-dire dire une affaire qui les concerne.

Nous allons donc écouter dans notre programme d’aujourd’hui un petit échantillon de cette présence du jazz Latino en Europe en général, et puis dans des prochains épisodes un pourra s’arrêter dans des programmes centrés dans un seul pays.

Commençons avec un des premiers musiciens européens à se dédier au jazz latino et à diriger un ensemble qui joué ce genre musical. Sir George Albert Shearing (13 août 1919 - 14 février 2011) était un pianiste de jazz britannique qui a dirigé pendant de nombreuses années un groupe de jazz populaire qui a enregistré pour Discovery Records, MGM Records et Capitol Records. Shearing a été le compositeur de plus de 300 titres, dont les standards de jazz "Lullaby of Birdland" et "Conception", et a eu plusieurs albums dans les charts Billboard au cours des décennies de 1950 à 1990. Il est décédé d’une insuffisance cardiaque à New York, à l’âge de 91 ans.

Écoutons All or Nothing at All, George Shearing Quintet, album Latin Affair, 1960.

Hans Ulrik (né le 28 septembre 1965) est un saxophoniste et compositeur de jazz danois qui a enregistré avec Gary Peacock, Adam Nussbaum, Niels Lan Doky, Audun Kleive, Marilyn Mazur, John Scofield et Steve Swallow.
Ulrik a étudié le saxophone jazz au Berklee College of Music de Boston (1984-1986). Il a poursuivi ses études après une visite à New York (1986) jusqu’en 1987. Depuis 1987, il a été le leader de divers groupes comme Pinocchio (1987), Hans Ulrik Fusion (1988-89), Ulrik/Hess Quartet 1989-90), Hans Ulrik Group (1991-95), Wombat (1995-98), Hans Ulrik Jazz & Mambo (1998-2003) et Hans Ulrik Quartet (depuis 2003).
En plus de divers prix de jazz danois, Ulrik a reçu le prix du Concours Européen de Jazz à Leverkusen 1988 et le prix du meilleur soliste en 1990. Troisième prix au Festival de Jazz de Rome. En 2002, il entreprend une tournée en Chine, à Hong Kong, en Malaisie et en Australie. En 2005, il rejoint Steve Swallow au Festival de Jazz de Montréal.

Nous allons continuer avec Nature Boy, Hans Ulrik · Ahbez, album Jazz And Mambo, 1998.

Robin Jones (1934-2019), une personne clé dans l’histoire de la samba au Royaume-Uni. Décèdé le 3 juillet 2019, l’un des pionniers les plus influents de la musique afro-cubaine et afro-brésilienne au Royaume-Uni.
Né Ernest Robin Jones à Pune, en Inde, le 4 novembre 1934, Robin fut l’un des premiers membres de la London School of Samba. Il a joué le premier concert à Covent Garden en avril 1984 et le premier défilé historique du carnaval de Notting Hill la même année. Il était le fil conducteur qui reliait la London School of Samba aux premiers jours de la musique latine au Royaume-Uni dans les années 1930.

Écoutons Royal Conga, Robin Jones, album Afro-Cuban Rhythms, 2001.

Miguel Blanco est né dans le quartier Gracia de Barcelone où il a étudié la guitare, puis il s’est intéressé à la basse électrique et au piano lorsqu’il est entré au Berklee College of Music de Boston (U.S.A.) où il a étudié la composition avec Herb Pomeroy. Il réside actuellement à Madrid où il combine son activité artistique avec l’enseignement au Conservatoire du Pays basque -Musikene- à San Sebastián.
Miguel Blanco est un compositeur et arrangeur de renom dont la musique originale se trouve principalement dans le Latin Jazz et la fusion. Il a été le producteur et l’arrangeur de Jerry González sur ses deux albums Big Band et des orchestres tels que l’Afro Latin Jazz Orchestra de New York d’Arturo O’Farrill, ont enregistré sa musique.
Les arrangements de Miguel Blanco ont été interprétés par des Big Bands tels que the Manhattan School of Music Afro-Cuban Jazz Orchestra (New York) dirige par Bobby Sanabria, le Swiss Jazz Orchestra et par des orchestres du Mexique, de Cuba, de Colombie, de Russie, de Pologne, des Pays-Bas et d’Australie. Il a également enregistré sa musique avec des orchestres symphoniques à Madrid, en Allemagne, à Prague et à Bratislava. Il continue d’expérimenter sa propre musique avec son octuor "La calle caliente" et son Big Band "Afrodisian Orchestra".

On va écouter maintenant Nightfall, Jerry González & Miguel Blanco, album Music For Big Band, 2006.

Mark Alban Lotz (né le 12 juin 1963 à Tübingen) est un flûtiste de jazz allemand et est le fils de l’historien du jazz Rainer Lotz. Il a grandi à Berlin, en Thaïlande et en Ouganda avant de fréquenter le Konrad-Adenauer-Gymnasium Bonn-Bad Godesberg jusqu’à ce qu’il obtienne son diplôme d’études secondaires en 1983.
Il prend des cours de flûte avec Michael Heupel, il a d’abord étudié l’ethnologie et la musicologie à Berlin jusqu’en 1986, puis a étudié la flûte de jazz avec Ferdinand Povel au Conservatoire d’Hilversum jusqu’en 1991. Il a également pris des cours particuliers de James Newton et Hubert Laws.
Depuis les années 1990, il a travaillé, entre autres, sur la scène jazz néerlandaise avec Gijs Hendriks, Tjitze Vogel et Meinrad Kneer. Avec le clarinettiste Maarten Ornstein et le batteur Stefan Kruger a fondé son ensemble Lotz of Music, qui existe toujours aujourd’hui ; En 1994, Laika Records a sorti son premier album Puasong Daffriek, en 1995, il a enregistré la musique du documentaire de Rolf Orthel, Antartica - a Ticket to Eternity.
Depuis 1997, Lotz a initié des croisements avec les musiques cubaine, moldave, ouest-africaine, turque, indienne. A partir de 2002 commandes de composition pour divers ensembles tels que le quatuor à cordes Zapp4 ou le trio avec piano Traveling Light. 2003 collaborations avec Dj Cycle (Erik van Putten) dans Afro Lounge, un mélange de musique house et de musique afro-cubaine. En 2004, la collaboration avec le metteur en scène Eric de Vroedt dans la Soap opéra La Nuit, dont est sorti le CD du même nom. Depuis 2002, il fait partie du Global Village Orchestra et a également été impliqué dans ses albums.

Passons à Haarlem Nocturne, Mark Alban Lotz Quartet, album Blue Moods, 2013.

Salsa Celtica est un groupe écossais qui joue une fusion de la musique salsa avec des instruments écossais traditionnels, y compris des éléments de folk et de jazz. Salsa Celtica a été formée en 1995 par des musiciens écossais de jazz et de folk. En 1997, ils ont visité Cuba pour étudier et s’imprégner de la culture musicale et des influences du pays. Inspirés par le voyage, ils sortent leur premier album Monstruos y Demonios (Monstres et Démons) la même année. Ils ont ensuite été acclamés par la critique et le public.
Depuis la sortie de leur premier album, Salsa Celtica a parcouru la majeure partie de l’Écosse, ainsi que le reste du Royaume-Uni et de l’Irlande. Ils ont fait des tournées en Europe et en Amérique du Nord ainsi que dans certaines parties de l’Asie du Sud-Est.
En 1998, Salsa Celtica s’est produite lors des célébrations de Hogmanay à Édimbourg devant 40 000 personnes : cela a été diffusé en direct à la télévision britannique. En 1999, le groupe retourne à Cuba après avoir été invité à se produire à La Havane et à Santiago pour travailler avec le Conjunto Folklorico de Cutumba. En 2003, le troisième album du groupe, El Agua De La Vida, a atteint le numéro 5 sur le World Music Chart d’Europe et le numéro 24 à la fin de l’année 2003. En 2004, le groupe a effectué une première tournée au Royaume-Uni, y compris une performance en tête d’affiche au Queen Elizabeth Hall sur la rive sud de Londres.

Écoutons An Danns Elegua, Salsa Celtica, album The Tall Islands, 2014.

Tómas R. Einarsson (né en 1953) est un compositeur et contrebassiste islandais qui occupe une place importante sur la scène jazz islandaise depuis le début des années 90. En 2014, il a reçu l’Ordre du Faucon des mains du président islandais pour sa contribution au jazz et à la culture.
Tómas est né dans la ville de Blönduós au nord de l’Islande et a grandi à Dalabyggð. Il a étudié au Hamrahlid College de Reykjavík. Il a commencé à jouer de la contrebasse pendant ses études d’histoire et d’espagnol à l’Université d’Islande. Sa première composition sur disque apparaît en 1982 avec le groupe de jazz Nýja kompaníið sur l’album Þegar kvölda tekur (Quand la nuit tombe).
En 1992, il forme le groupe Reykjavík Jazz Quartet avec le saxophoniste Sigurður Flosason. Le groupe était populaire dans les années 90 et s’est produit dans toute l’Europe. Il a également tourné et enregistré des albums avec le trio Ólafur Stephensen.
Le premier disque de jazz latin de Tómas est sorti en 2002. Les enregistrements d’influence cubaine sont devenus populaires en Islande et il a fait de nombreuses tournées avec son groupe latin à travers l’Europe et l’Amérique.

Suivons avec Títómas, Tómas R. Einarsson, album Latínball í Búðardal, 2020.

Hendrik Thomas Meurkens (6 août 1957 à Hambourg) est un joueur néerlandais d’harmonica et de vibraphone de jazz moderne. Meurkens a commencé à jouer du vibraphone à l’âge de 16 ans et a suivi les cours de Wolfgang Schlueter en 1976 et 1977. Sous l’impression de Toots Thielemans, il a également traité en autodidacte l’harmonica chromatique.
Entre 1977 et 1988, il a étudié au Berklee College of Music. Il a ensuite vécu quelque temps au Brésil. De retour à Hambourg, il a d’abord travaillé comme vibraphoniste avec Torsten Zwingenberger, et a travaillé comme soliste invité pour la radio danoise Orchestra, mais aussi avec Buddy Tate et Sweets Edison et en tant que leader de ses propres groupes. Il a enregistré son disque Samba Importado (1989) avec des musiciens brésiliens et Sambahia (1991) avec Claudio Roditi et Paquito D’Rivera. En 1992, il s’installe à New York. Il a fondé le "New York Samba All Stars" en plus de son quatuor. Il a également travaillé comme compositeur de films (dont « Dolores Claiborne").
Meurkens est considéré comme le plus important harmoniciste du jazz depuis Toots Thielemans et a été engagé comme soliste en 2000 par l’International Harmonica Summit de Minneapolis et en 2001 par le World Harmonica Festival de Trossingen.

Finisons avec Clear of Clouds, Hendrik Meurkens, album Manhattan Samba, 2020.

C’est du Jazz Latino 10 (Europe)

Un programme pour l’écoute, la dance et le plaisir…

1 All or Nothing at All, George Shearing Quintet, album Latin Affair, 1960.
2 Nature Boy, Hans Ulrik · Ahbez, album Jazz And Mambo, 1998.
3 Royal Conga, Robin Jones, album Afro-Cuban Rhythms, 2001.
4 Nightfall, Jerry González & Miguel Blanco, album Music For Big Band, 2006.
5 Haarlem Nocturne, Mark Alban Lotz Quartet, album Blue Moods, 2013.
6 An Danns Elegua, Salsa Celtica, album The Tall Islands, 2014.
7 Títómas, Tómas R. Einarsson, album Latínball í Búðardal, 2020.
8 Clear of Clouds, Hendrik Meurkens, album Manhattan Samba, 2020.