« Tous ces endroits romantiques et excitants où j’ai toujours voulu aller »

« Du plus loin que je me souvienne — et à soixante-seize ans, ma mémoire est de plus en plus floue et « scratchée », ce que d’ailleurs en photographie on ne considère pas comme un handicap —, j’ai voulu parcourir le monde, de haut en bas et de gauche à droite. Découvrir tous ces endroits excitants, passionnants, romantiques — et, pourquoi pas, aphrodisiaques — dont les livres de Jules Verne m’ont fait rêver dans ma tendre jeunesse. Surtout « Le tour du monde en quatre-vingts jours ».

J’avais collé des cartes du monde sur les murs de ma chambre et pendant que les autres garçons de mon âge couraient après un ballon de foot, moi je faisais tourner jusqu’à m’auto-hypnotiser, le globe terrestre que j’avais acheté avec mon argent de poche que j’avais régulièrement piqué dans la poche de ma grande mère.

Hélas, la vie a décidé autrement. Mes parents — et plus tard, mes chats — m’avaient imposé le respect scrupuleux des routines, fait qui m’a empêché de partir réaliser mon rêve de découvrir les endroits les plus excitants du monde et de les photographier. Peu à peu je suis devenu sédentaire et agoraphobe, et le « still life » (ndlr : la nature morte) est devenu mon genre préféré de photographie.

Mais un beau jour, relisant la « Lettre à Voltaire » écrite par Jean le Rond d’Alembert, j’ai lu cette phrase : « Puisque la montagne ne veut pas venir à Mahomet, il faudra donc que Mahomet aille trouver la montagne ». Cela été le point de départ de cette série.

Ces mots m’ont donné l’idée que si je ne pouvais pas voyager, alors au moins je pourrais visiter les lieux dont j’avais tant rêvé et que les webcams montrent en boucle sur internet, et capter images les plus merveilleuses et les plus romantiques, en m’imaginant que je les ai photographié moi-même sur place, avec mon précieux et sophistiqué Leica que je n’ai jamais possédé.

Je n’ai pas eu le moindre sentiment de culpabilité de m’approprier les images que j’avais figé sur l’écran en cliquant au moment choisi par moi sur le bouton de ma tablette, exactement comme le photographe qui appuie sur le déclencheur de son appareil. En définitive, une webcam n’est qu’une machine, ce qui n’est pas totalement faux si on pense pendant une seconde.

Et parce que parfois je recadre et je retravaille un peu les images, pour le meilleur rendu possible, je peux montrer sans vergogne toute la vigueur de ma créativité.

Voilà. Tout ce que je peux ajouter c’est que cette série au titre original « Finally going to all those romantic, thrilling places I always wanted to see », n’est pas finie, et tant que j’aurai encore la force de voyager vers ces lieux magiques et de les photographier sans quitter ma chaise et sans dépenser un seul kopeck, je vais la continuer. Car je suis toujours le même incurable romantique. »