LaRevue - Arts, cultures et sociétés


LaRevue n°106


Éditorial

« Nous n’étions donc plus rien qu’entre nous ? Les uns derrière les autres ? La musique s’est arrêtée. « En résumé, que je me suis dit alors quand j’ai vu comment ça tournait c’est plus drôle ! C’est tout à recommencer ! » J’allais m’en aller. Mais trop tard ! Ils avaient refermé la porte en douce derrière nous les civils. On était faits, comme des rats. »
Céline, Voyage au bout de la nuit.

TK-21 LaRevue se réjouit d’accueillir pour ce numéro de mai de nombreux nouveaux arrivants, des artistes et une rédactrice. Ne tenant ni à écarter tout lien avec notre situation ni à nous apitoyer sur nous-mêmes, nous proposons deux textes relatifs à cette époque troublée.

Faire face à ce qui nous arrive

Marie Barbuscia est une jeune philosophe qui travaille ici en particulier sur « la discordance des États sur les mesures à adopter qui n’a pas permis une gestion commune de ce phénomène et l’harmonie d’une décision à plusieurs voix pour y répondre collectivement. Ce re-pliage a eu pour effet de nous couper de l’autre, de nous scinder en plusieurs parties, l’autre nous constituant. » Elle le fait en relation avec des œuvres d’artistes contemporains convoquées ici avec pertinence.

Guillaume Basquin, lui, se demande pourquoi on n’a guère entendu de voix discordantes pour contrer les affirmations et les décisions prises depuis bientôt trois mois et qui ont conduit à l’enfermement de 67 millions de français ! Mais il déplie cette question aussi vers des questions essentielles que cette situation nous pose, comme celles de notre conception et de notre relation à la mort.

Entretien

TK-21 LaRevue présente la première partie d’un entretien avec Joséphine Derobe. Stéréographe, réalisatrice, photographe, le parcours de Joséphine Derobe (sténographe sur le film Pina de Wim Wenders) est une mise en image de la question des appareils. Ses réflexions et ses choix montrent les liens entre le contenu et l’outil utilisés pour raconter une histoire.

Animal animaux

Laetitia Bischoff profite elle aussi de ce moment pour revoir des films avec son fils et nous emmener ainsi vers une réflexion sur le rôle et la fonction que les animaux ont pu avoir dans des films, dans les contes et finalement aujourd’hui dans notre manière d’approcher le monde. « Le monde semble donc être, non pas ce qui remplit l’espace, mais ce qui se trouve en frontière de civilisation, repoussé, mais vivant. Pour faire un raccourci de Manet à Grimault, le monde est gardé par des lions, des oiseaux et une grenouille. » Il suffira comme elle nous le propose de passer cette frontière pour découvrir peut-être, enfin ! le monde.

Alain Snyers, artiste obstiné et moqueur, membre du groupe Untel et graphomane facétieux, s’est associé avec l’artiste et éditrice Wanda Mihuleac dans une démarche que les événements ont étouffée, celle de se lancer dans une campagne électorale faite uniquement de mots et de jeux avec les mots. « Les imaginaires sous-tendant les campagnes représentent un intéressant sujet de société mais aussi un modèle d’usage de la parole et des signes pour une nouvelle appropriation artistique. À trois reprises, les deux artistes Mihuleac et Snyers ont choisi de construire un projet parodique et burlesque sous la forme de fictives campagnes électorales. » Une découverte qui mettra du baume au cœur de nous tous qui regardons désormais le monde derrière nos fenêtres.

Nouvelles venues, nouveaux venus

TK-21 LaRevue poursuit son travail de défrichage, de découverte et de présentation d’artistes peu ou pas connus. Trois femmes et un homme se partagent le rayon découvertes de ce mois de mai.

Laure Molina, « après un master en arts plastiques, est partie à la découverte des cultures amérindiennes d’Amérique latine en 1996 et ne revient définitivement qu’en 2004. Après un séjour en Équateur puis en Bolivie, elle se consacre à une année d’expérimentation en atelier. Puis de nouveau, la voici sur des terres lointaines, d’abord en République Dominicaine, puis au Guatemala. Ces sept années de séjour marquent profondément sa personnalité et sa pratique. Depuis son retour en Occident, toutes ses œuvres sont inspirées par la rencontre avec ces cultures amérindiennes qui la relient au vivant de manière viscérale. » Son travail ancien et actuel est présenté et analysé par Laure Jaumouillé.

Wanda Mihuleac est une personnalité hors du commun. Artiste avant tout, peintre, performeuse, musicienne, elle brasse toutes sortes de matériaux dans ses œuvres. « Confronter plusieurs disciplines artistiques apparaît donc inévitable dans la logique de sa démarche esthétique. De plus cette problématique rejoint certaines préoccupations philosophiques récentes », remarque Jean-Yves Bosseur qui nous présente ici la première partie de son analyse exemplaire de cette œuvre et de cette artiste trop méconnue.

Adrienne Arth nous présente son travail dans le cadre de notre échange mensuel avec la revue en ligne Corridor Éléphant. Photographe plasticienne, elle « réalise des images qui sont à la lisière de l’intime et du public, du monde et de sa métamorphose et se tiennent en équilibre sur ce fil où la photographie reflète le réel, mais aussi le dénoue de lui-même dans une écriture décalée, le saisit dans son évidence et sa surprise par une image à la fois immédiate et interrogative. »

Scott Batty est un artiste discret très discret et pourtant il a une voix et un travail pictural puissants. Il a exposé à la galerie Hors Champs avec Jonathan Bougard qui a profité de son séjour à Paris pour réaliser « à l’arrache » un petit film. On y entend Scott Batty chanter et on y découvre quelques-uns de ses dessins. Il faut considérer cette réalisation comme une introduction, car TK-21 LaRevue reviendra bientôt sur le travail de cet artiste singulier et présentera son œuvre de dessin si énigmatique et si parlante, et aujourd’hui plus que jamais.

Suites

Aldo Caredda revient avec une de ces courtes vidéos que nous avons déjà appris à connaître. Il se filme de dos en train de déposer une de ses empreintes dans un des musées parisiens. Cette fois, c’est en haut de l’escalier au BAL.

Gaëtan Viaris de Lesegno et Jean-Claude Moineau poursuivent leur lecture de Vertigo. Cette deuxième partie nous plonge littéralement dans la mise en abîme des « copies » du visage, nous laissant perplexe quand à notre capacité à retrouver un original. « Non seulement le portrait de Midge en Carlotta n’est qu’une copie mais c’est une « mauvaise copie », par opposition à la « bonne copie » qu’est malgré tout la reproduction photographique du portrait de Carlotta figurant dans le catalogue du musée et à cette autre « bonne copie » qu’est « Madeleine » elle-même. » Nous les retrouverons encore une fois le mois prochain pour la fin de cette vertigineuse saga.

Philosophie

Nous poursuivons la publication de La spiritualité païenne, l’ouvrage du philosophe vénézuélien Pedro Alzuru qui y analyse les derniers cours de Michel Foucault. Dans ce troisième chapitre intitulé « Gouverner et se gouverner » il cherche à montrer comment « Foucault tente de se démarquer de l’histoire des mentalités et de l’histoire des représentations, propose une histoire de la pensée comme centre d’expériences où s’articulent les formes de connaissance possibles, les matrices normatives de comportement et les formes virtuelles d’existence pour les sujets possibles. »

Jean-Louis Poitevin dans cette Logiconochronie XLVI, reprend la publication de sa série de conférences sur l’image entamée dans les numéros précédents. Ce sont les icônes qui sont au cœur de cette réflexion, tant dans leur dimension historique que philosophique puisqu’elles sont porteuses de la grande réflexion sur les images qui a traversé toute la théologie chrétienne et ne cesse d’irriguer en secret les réflexions les plus actuelles, sur la photographie en particulier. « Si l’on veut une formule choc pour non pas définir l’icône mais évoquer sa provenance on dira que l’icône sort de terre et glisse des murs pour s’avancer vers ceux qui la cherchent. »

Littératures

TK-21 LaRevue est fidèle à « ses » écrivains, puisqu’ils nous font le plaisir et l’honneur de continuer à nous offrir des textes pratiquement tous inédits.

Avec Entrées Maritimes, Werner Lambersy nous offre un poème inédit dans lequel le poète parle en son nom puisque, rengaine libératrice, reviennent ces mots par lesquels s’ouvre ce texte : « Je suis né poète ». Et toute une vie défile jusqu’à ce constat heureux : « Sont poètes ceux qui sont heureux / Dans ce poème / Car nous sommes poème et néant ».

Alain Coelho poursuit l’écriture de son livre Images d’aurore dont il nous livre le septième chapitre de la seconde partie. Nous sommes toujours en Tunisie, l’adolescence approche, l’éveil des sens, l’appréhension toujours plus directe du corps, constituent les éléments centraux de ce chapitre où apparaît aussi le souvenir d’une jeune fille. « Tandis que sa peau, sa présence, sa proximité, tout l’être dilaté enfin et le profil de la petite fille se dressaient près de moi dans le cercle des enfants, son nom de Monique irradiait ainsi. »

Pour clore ce numéro, nous publions la suite des textes que Joël Roussiez a écrit sur quelques chapiteaux du Musée des Augustins à Toulouse.
Chasses, nectars, danses, vie et mort, s’entrelacent dans ces courts récits, mais avec, en présence énigmatique, le paradis dont il dit : « Le pays n’a pas d’étendue, ni longueur, ni largeur, c’est l’épaisseur qui le construit ; ainsi quand on avance, c’est vers l’intérieur qu’on se dirige et ce qui est derrière disparaît à mesure. »

 


Photo de couverture : Hervé BERNARD, Water field Yuanli, Taïwan

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