lundi 18 décembre 2017

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Stack

Entretien Robert Bonaccorsi / Alain Pontarelli / Pascal Simonet

, Comité de rédaction

J’aime à penser que le processus de création de Pascal Simonet, plus simplement et concrètement, sa manière d’appréhender le réel, relève des rêveries du regardeur solitaire. À l’origine donc, des vagabondages sans raison mais non sans discernement. Regarder, observer, inventorier, sans a priori artistique, notre environnement quotidien, celui que l’on habite, que l’on traverse et que l’on ne voit pas ou plus. Être présent et à bonne distance (simultanément) de ces espaces imbriqués, contaminés, aux frontières incertaines ou abolies ou rien n’est “naturel”, surtout pas les espaces “préservés”. Le “paysage” n’a jamais été une donnée de fait. Il n’existe pas en soi. Il se construit, se défait, change, s’élabore. Les peintres de “Vedute” du XVIIIe siècle témoignent de la chose. Veduta, “la position où tombe la vue”, le langage de la perspective à l’œuvre au service de la représentation fidèle de lieux existants. Référence utile mais qui ne rend pas compte du travail de Pascal Simonet. Son approche subtile implique dans le même mouvement la présence et la mise à distance. L’imprégnation, voire l’infusion, sont ainsi convoquées. Aucune idée préconçue, de prétexte, mais la prescience maîtrisée. La pensée créative (l’inspiration donc) vient ici en marchant. “Le paysage, c’est ce qui se forme dans ma tête, une fois rentré à la maison lorsque j’ai oublié qu’un chat gris a croisé mon chemin, et qu’au fond de l’étang, une bouteille de coca-cola brillait”. L’essentiel se fait ensuite à l’atelier mais jamais de façon univoque. Être tout à la fois spectateur, témoin, acteur, voilà l’enjeu. Pascal Simonet utilise, pratique, en fait tire parti, du dessin, “d’objets” minéraux et végétaux, du mobilier urbain de la photographie... Il met en espace des sculptures et des installations de façon transversale, en se jouant des catégories, avec souvent des préoccupations de peintre particulièrement au niveau de la réflexion sur le cadre. La vidéo également, comme un simple outil.

Dépression au soleil plombant, technique mixte sur toile et panneaux, 200 x 238 x 24 cm, 1992

En mars 2000, à La Valette-du-Var, il fixe une caméra sur la tête d’un cheval, construisant ainsi une image du lieu, par des plans “naturels”, “organiques”, via une caméra, reproduisant un code perspectif hérité du Quattrocento. “Il croit qu’il filme, en fait, c’est Sony qui filme” dirait Godard. Le rapport nature/culture se retrouve ainsi décliné sous ses multiples aspects. In vivo, in situ (dans les multiples interventions de Pascal Simonet à propos des jardins), mais aussi dans les lieux d’expositions plus convenus, pensés et investis de façon réflexive. Un travail en conscience où le souci écologique se retrouve mais dépourvue de toute dimension militante. Aucune contrainte dans ces œuvres ouvertes qui développent l’idée d’une maîtrise à la fois objective, infinie dans le temps et l’espace, mais aussi historique dans sa dimension sociale, humaine, très humaine ! Nous sommes partis d’une simple promenade, d’une perception intuitive. Nous voilà rendus à l’analyse formelle, à l’image artistique qui fait sens, au regard de Pascal Simonet dont les œuvres pertinentes et sensibles suscitent l’échange et l’interrogation via notre faculté d’émerveillement. Il est plus que jamais nécessaire d’accorder toute notre attention aux rêveries de ce promeneur solitaire.

Robert Bonaccorsi
Le 20 août 2017

Pomme d’or 2, L’Offrande Pigment, empreintes végétales, feuille d’argent et feuille d’or sur carton, bois, 80 x 80 cm, 1993 - Coll. commune de Gorbio

Substituer l’art à la nature...

Dans le rapport que j’ai entretenu avec la notion de “nature” depuis le point de vue du siècle des lumières en passant par une rigueur à la fois descriptive et poétique dans l’écriture de Caillois. Effectivement ce sont des choses qui ont nourri mon regard et m’ont permis de voir plus largement la question du paysage contemporain comme de celle de l’univers des formes inaperçues de l’environnement dans lequel on vit aujourd’hui. La morphogenèse qu’elle provienne d’éléments dits de la “nature” ou des actions humaines, échange en effet des schémas étrangement communs qui nourrissent mon approche. En 2010 lors d’une exposition avec Sylvie Maurice que j’avais intitulée : “Nature/Contre-nature” à la “maison de la forêt” de Sivens dans le Tarn, soit un an avant les premières actions de mobilisation contre le projet du barrage de Sivens et quatre ans avant l’occupation du site par les “Zadistes” et la mort tragique du jeune Rémi Fraisse. La série de dessins réalisée pour ce site magnifique et menacé mêlait empreintes végétales et tracés géométriques issues de ces formes. Six ans plus tard, j’ai eu l’opportunité d’exposer cette même série dans “La Cité Radieuse”, Le Corbusier à Marseille et curieusement en observant à nouveau ces travaux sur papier, ceux-ci auraient pu être réalisés dans et pour l’Unité d’Habitation. L’histoire et les temporalités des deux lieux sont manifestement diamétralement opposées, puisque nous avons pour le très beau site naturel de Sivens, un projet d’aménagement destructeur tant du point de vue de la faune, que de la flore et particulièrement diviseur sur le plan humain. De l’autre, à l’issue de la seconde guerre mondiale, un projet visant l’harmonie constructive [1] et humaniste d’un nouvel art de bâtir et de vivre, qui tout en étant largement controversé et critiqué sur le plan politique et architectural, n’en est pas moins aujourd’hui très largement reconnu [2] et pour lequel les habitants aujourd’hui, par leur dynamisme associatif sont sans aucun doute, le meilleur témoignage d’unité rayonnante d’un lieu. De cet enchevêtrement difficilement démêlable de causes et de conséquences, émerge l’union de dualités, de principes contradictoires et en effet tout comme l’énonçait Diderot, il nous faut sans cesse substituer l’art à la nature, pour en bien juger.

Herbularius, jardin expérimental, dimensions variables, d’après le tracé cadastral de lotissements construits sur d’anciens jardins - Domaine de Baudouvin, La Valette-du-Var - Briques vernissées et plantations de simples, 2008 (Détail)

Le jardin d’Éden

J’ai toujours combattu cette idée de nature ex-nihilo. Pour échapper à la condition animale, l’homme a toujours résisté à son environnement. Il s’est inventé un autre réel et paradoxalement aujourd’hui sa sensibilité “écologique” le place en situation de résister à nouveau et de composer avec lui-même.

L’histoire urbaine et humaine, regorge de situations étranges et paradoxales. En 1997 j’ai pu bénéficier d’une résidence d’artiste à Alexandrie et à travers mes pérégrinations, je suis tombé par hasard sur un site de fouilles archéologiques discret au cœur de la ville antique, où l’on pouvait distinguer en coupe, un cimetière Mamelouk superposé aux traces de villas romaines, lequel cimetière était lui-même recouvert par un dépôt d’ordures fait de tessons de poteries et recouvert à son tour d’ordures contemporaines que les habitants continuaient de déposer ou de jeter de leurs fenêtres. Cela peut aujourd’hui heurter les esprits, mais en même temps c’est une réalité crue du paysage urbain, inscrite dans des temporalités successives de l’activité humaine.

Ces contradictions, ces dénis de réalité, cette résistance de l’humain vis-à-vis de son environnement, qui aujourd’hui se mesure à l’échelle de la planète, nous fait souvent oublier la représentation même de ce que nous avons autour de nous, de l’ordre du quotidien, du banal, de l’évident, de l’habituel ou du bruit de fond. L’ensemble de mon travail tend à rendre compte de ça, en dehors de tout critère de jugement, ou d’auto censure. Je me plais à mettre l’accent sur le non visible, qui n’est pas vous l’aurez compris, tout à fait l’invisible.

Ors 1 / Ors 2 / Suite en deux pièces, Empreintes végétales, encre, pyrogravure et mine de plomb sur papier, 75 x 79,5 cm, 2005

Capter le réel...

Je préfère garder de tout ça le souvenir de formes fugaces sans essayer de rentrer dans le détail car c’est souvent inintéressant et surtout comme le dis très bien Alain, nous sommes obligés d’avoir ce regard décentré qui fait qu’on en a une mémoire des formes, des couleurs très parcellaire... Par contre cet aspect fragmentaire peut déclencher un imaginaire assez intéressant. En 1990, j’ai initié un travail basé sur la perception visuelle que j’avais en empruntant certaines voies rapides pour me rendre à l’atelier que j’avais au Cannet. J’ai réalisé des panneaux en fibre de canne de Provence compactée, proches de ceux qui étaient utilisés pour absorber le son des véhicules à proximité des habitations et les ai colorés sur l’envers avec des peintures fluo afin de projeter une sorte d’aura lumineuse autour de ce matériau. J’ai ensuite combiné ça avec des peintures fractales sur toile libre a n d’évoquer les nombreuses taches fantômes multicolores qui persistent devant les yeux quand on a le soleil en face sans protection. Ça participait de moments fugaces que j’avais de ces espaces traversés et d’une mémoire visuelle difficile à cerner, mais en tous cas importante pour moi à représenter.

AT — Acier inox, néon et Pierre brute, 100 x 100 x 100 cm, 2017

La réalité aujourd’hui...

C’est tout à fait juste. Cette question est centrale et bien au-delà du champ artistique, pose effectivement celle de la représentation, à la vue et à l’esprit, du réel pour tout un chacun. Aujourd’hui le réel est bien souvent consommé et décrit dans toutes sortes d’activités de la vie quotidienne et en cela renforcé par la prééminence et la vitesse des médias... mais cette part de réalité est paradoxalement très mal, voire pas du tout représentée, car il y manque sans doute celle de l’invisible que l’artiste se doit de révéler à partir de la complexité du monde. Pour moi le réel a plus à voir avec ce qui échappe au regard et constitue cet invisible à rendre visible. C’est sans doute là aussi que la fiction et la narration sont un préalable à la représentation sensible du réel.

Notes

[1Principe du modulor entre autre basé sur le nombre d’or et la suite de Fibonacci, éléments que l’on retrouve en particulier dans la croissance des arbres et des végétaux.

[2Le site est inscrit aux monuments historiques et vient de l’être au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Stack
Exposition :
du 7 octobre 2017 au 28 janvier 2018
Salles rez-de-jardin, Villa Tamaris centre d’art
83500 La Seyne-sur-Mer
Communauté d’Agglomération Toulon Provence Méditerranée
http://www.villatamaris.fr/

Catalogue :
Tiré à 500 exemplaires dont 100 exemplaires en tirages de tête, signés par les auteurs dans un boîtier contenant les catalogues des deux artistes
ISBN 978-2-37490-020-9
© Les auteurs, Villa Tamaris centre d’art, La Seyne-sur-Mer 2017

Couverture : Sans titre, Empreintes végétales, pastel sec sur papier buvard, 85 x 125 cm, 1997