vendredi 3 janvier 2020

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Sculptures de corail

, Jean Duday et Mateha Mara

Depuis la nuit des temps l’Homme a toujours souhaité sublimer la matière en la refaçonnant à sa guise.

La sculpture résume l’acte créatif primal enseignait déjà Aristote. Les méthodes de sculpture sont multiples, deux grands procédés peuvent cependant en résumer la complexité.

L’une est une sculpture d’ajout, d’assemblage, de modelage qui permet à l’artiste de réaliser des volumes en rajoutant de la matière sur une ossature, l’autre est à l’opposé une sculpture de taille, d’ablation, d’enlèvement de la matière. L’artiste élimine, creuse, entaille le bois ou la pierre pour libérer l’œuvre de sa gangue.

La sculpture de pièces en corail relève bien sûr de cette seconde démarche.

L’artiste choisit le bloc de corail brut, il l’attaque de ses outils pour lui donner forme, avec des gestes simples et authentiques, travail physique associant intimement le corps et l’esprit. Il entame le corail et le modèle par le disque, la meule, la râpe et le ciseau.

Vaiere Mara – Mères à l’enfant travaillé en corail

La matière travaillée n’est cependant pas anodine. Souvent assimilé à la pierre en Polynésie le corail est cependant une production animale, fabriqué au fil des ans par un animal marin éponyme.

Arraché au lagon, le corail meurt à l’air libre sur le rivage. On retrouve des blocs de ces exosquelettes roulés sur la plage ou projetés à l’intérieur des terres par les éléments déchaînés.

Moderne Pygmalion, le sculpteur s’en empare et redonne par son travail une seconde vie à cette existence marine. Suivant son imagination, des visages, des corps, des formes anthropomorphes, des dieux tutélaires sortent bientôt de la matière sous les doigts du sculpteur. La réalisation supporte mal l’erreur. Rares sont les artistes qui en maîtrisent la technique.

Et si l’œuvre terminée s’est pliée aux désirs du sculpteur, elle garde néanmoins par sa blancheur et sa légèreté le charme et le mystère de ses origines marines.

Jean Duday, Moorea 2017

Vaiere Mara – Le thème de la mère à l’enfant traité sur un bois flotté
* * *

Entretien avec Mateha Mara

On peut commencer par parler de la matière, et du corail.

C’est du corail qui était au bord de la mer qu’il ramassait. Et le bois c’est du bois flotté. Avant il y en avait plein sur Raiatea, au bord de la mer, qui flottait. On ramassait ça. Même aux Tuamotu, on a été à Takaroa, il sculptait là-bas. Il y avait plein de corail.

Donc Mara c’est ton papa, toi tu as grandi avec lui. Comment ça se fait que tu aies repris le flambeau ?

Ben j’étais toujours à côté. Quand j’allais à l’école, à quel âge, huit ans, j’allais pas jouer à la récréation, j’allais avec mon papa sculpter. Parce que j’aime pas jouer. Je préfère bricoler. Toucher. Et mes copains ils me cherchaient, ils allaient chez moi, comme j’habitais juste à côté de l’école. C’est comme ça que je me suis imprégné. Je n’allais pas vadrouiller. Jouer aux billes avec les autres. A l’époque c’était les billes, plein de jeux. Mais je n’allais pas jouer avec eux. J’allais sculpter. Je préfère, c’est une passion. Je sais pas pourquoi. Il y a un petit, là, c’est lui qui vient vers moi. Quand je sculpte il vient aussi.

Vaiere Mara – Mère à l’enfant en pierre volcanique

Et c’est quoi ce petit par rapport à toi ? Il est de la famille aussi ?

C’est mon petit neveu. Petit petit neveu. C’est le fils de mon neveu.

Et il te regarde travailler ?

Il touche la matière. Je lui apprends comment ne pas se blesser. Et il fait.

Ce que ton papa t’as transmit, tu es en train de le transmettre aux enfants ?

Quand les enfants viennent, je les laisse s’imprégner. C’est comme ça que je vois les choses. C’est comme j’étais avant. J’allais vers mon père et mon père me donnait ses outils. Je faisais ça. Pas encore bien sculpter mais ça commençait déjà. Au moment où j’ai commencé à bien sculpter c’était à l’âge de dix ans. Là mon père a vu. Il a testé tout le monde. Tous les enfants. Il a dit c’est lui le sculpteur. A l’âge de dix ans j’ai commencé à vendre mes premières sculptures. On était à Taaha. Après on est revenus sur Tahiti. J’allais travailler dans les livraisons avant. Et de temps en temps je sculptais avec mon papa. Je lâchais pas. Mais maintenant c’est une passion. Comment dire… Je m’ennuie pas. Quant il y a ça, tu t’ennuies pas. Tu as toujours quelque chose à faire. Si je vais pas sculpter je vais débrousser aujourd’hui. Pour changer un peu d’idées. Pour oxygéner l’inspiration. Voilà, c’est comme ça. Des fois je vais au bord de mer chercher des cailloux, chercher des bois. Ça oxygène l’esprit. C’est comme mon père, il faisait ça. A chaque fois qu’il allait à un endroit il regardait s’il y avait de la matière première. Le corail, les cailloux, le bois.

Vaiere Mara – Petites pièces en corail

Quand tu étais petit, ton papa il était comment ?

Comment dire… C’était mon papa… Sa passion c’est la sculpture. Comme c’est un témoin de Jéhovah, quant il va prêcher, il y a des endroits où il voit des bois flottés… C’est comme ça. A chaque endroit où il va il voit la matière. Et aux moments libres il va chercher. Ou alors il va sculpter sur place et il rentre avec son œuvre. Après il vend la sculpture.

Il était plutôt simple comme homme, il ne cherchait pas à faire l’artiste…

Oui, il y a beaucoup qui lui ont demandé ha il faut que tu fasses plein de sculptures pour être millionnaire, tu vas être riche… Mon père il disait mais non, il faut se contenter de ce qu’on vit… Il faut se contenter de ce qu’on a. Et c’est vrai, on vivait au jour le jour. On ne vivait pas tous les mois ça tombe. Non, c’était de jour en jour. Comme ça nous on vit. Et ça va, on vit bien. Avec le peu qu’on a, on se contente.

Mais ton papa il sculptait beaucoup quand même, parce qu’il a produit énormément…

Ouais, des fois… Quand il n’y a pas d’inspiration il peut ne pas sculpter pendant une semaine hein… Quand il n’y a pas. Mais quand ça vient ça arrête plus. Il travaillait même le soir jusqu’à minuit, deux heures du matin… Parce que l’inspiration était là. Et faut pas qu’il lâche jusqu’à ce que ça va finir. Là il est content. Il faisait plein de bas-reliefs. Surtout des tama’ara’a.

Vaiere Mara – Le thème des jumeaux travaillé dans un bloc de corail blanc

C’est ton grand frère qui me disait qu’il avait sculpté les mâts d’un voilier à Taaha. Tu t’en souviens ?

Oui… Il a sculpté à l’intérieur, dans le bateau, les mâts… Mais je vois plus les motifs, j’ai complètement oublié… C’était un couple qui venait, ils ont vu mon père sculpter alors ils lui ont demandé si il ne pouvait pas sculpter le mât. Je ne me souviens pas des motifs parce que j’étais à l’école à ce moment. Le bateau était à quai et il allait sculpter. Mais j’ai pas vu le dessin quand c’était fini, comme après ils sont partis…

Depuis l’âge de dix ans tu n’as jamais arrêté de sculpter ?

Si. Quand il y a des chantiers je vais au chantier. En temps mort, je sculpte. Quand il n’y a pas de chantiers je vais sur la sculpture. C’est comme ça.

Et tes sculptures tu les vends ? Est-ce qu’il y des gens qui collectionnent ton travail ?

Ouais. C’est des grands collectionneurs. Et ils vendent pas, hein. A chaque fois que je vais chez eux, c’est installé dans leurs maisons. Tout est installé.

Vaiere Mara – Petite tête en corail, non signée

Tu penses qu’il y avait des sculpteurs parmi vos ancêtres ?

Normalement oui. On vient de Rurutu hein. Il y a même des cousins de Rurutu qui faisaient des penu, qui sculptaient aussi des umete, quand j’étais à Rurutu. Ils faisaient même des penu en corail pour piler le taro. Normalement c’est inné, c’est dans la famille. Chacun bricolait à sa façon.

Sinon tu as rencontré Miguel Hunt ?

C’est lui qui m’a appelé. C’était en fin d’après-midi, il m’a appelé, j’étais en train de préparer mon cochon à la broche avec des amis, on s’est donné rendez-vous pour la semaine d’après. J’ai été le voir.

Qu’est-ce qu’il t’as dit alors ?

Ben il voulait qu’on fasse une exposition. Il a montré le livre avec les photos des anciennes sculptures, ces sculptures je savais que ça vient de Raiatea, parce que ces bois-là y a pas ici, ça vient de Raiatea. C’est des bois flottés. Avant c’était plein de miro là-bas au bord de mer à Raiatea, Taaha… A Bora aussi.

Vaiere Mara – grande pièce en corail

Mélissa Marcinkowski aussi t’avais appelé…

Elle m’avait appelé pour se renseigner. Je lui ai dis que quand j’aurais des sculptures je vais l’appeler pour lui montrer. J’ai emmené au musée et elle a vu au moins.

Presque tous les jours tu sculptes…

Oui. Il y a des fois, quand j’ai pas d’inspiration, je vais voir les cailloux dans la baie où à tahatei, je vais chercher quoi… Comment dire, pour changer un peu d’air…

Et c’est quoi tes souvenirs les plus forts de ton papa ?

C’est quand on allait en prédication. On faisait le tour de Taaha. On faisait cette semaine de ce district à ce district. Semaine prochaine de ce district à ce district. Jusqu’à faire le tour de l’île. Avant il n’y avait pas la route. C’était que des sentiers. On a fait tout le tour. C’est pas mal ça. Michel eux deux Maurice, celui qui est mort, eux deux ils venaient nous récupérer en pirogue de l’autre côté. Ça c’est pas mal ça. C’est dans la nature. Et quant tu vas dans un foyer toujours le faapu. Magnifique quoi. T’es pas dans la ville, t’es carrément dans la nature.

Vaiere Mara – Personnage en bois

Je crois que c’est là-bas qu’il s’est mis à travailler le corail ?

Oui. Là-bas il y avait du corail. Parce qu’ici quand il avait commencé à sculpter c’est le bois. Parce qu’avant quand il sculptait c’était pas des figurines, c’était des tiki. Il a appris avec Kimitete, et de là, comme dans son culte il ne peut plus sculpter des tiki parce qu’avant les tiki ça a été adoré comme des idoles par les gens, c’est devenu des idoles, après il a cherché son modèle. C’est par l’inspiration qu’il a eu le modèle quoi… Voilà. J’ai vu la sculpture qu’on m’a montré c’est maman Faaura. Elle a dit ça c’est à ton père. Quand j’ai vu c’est un tiki.

Ha, il en reste des tiki qu’avait fait ton papa ?

Un. C’est avec maman Faaura. Tu vas au marché en haut.

Elle en a un ?

Elle m’a montré. Elle m’a dit viens je vais te montrer la première sculpture que ton père a amené il y a longtemps. Quand j’ai vu c’est pas son modèle. C’était au temps avant. Quand il a sculpté avec Kimitete.

Vaiere Mara – Mères à l’enfant en corail

C’est qui ça mama Faaura ?

Ben c’est la maman à Nicole Bouteau. Elle est au marché.

Je vais aller la voir.

C’est la première sculpture. Il n’est pas encore témoin de Jéhovah. Au moment où il est devenu témoin de Jéhovah il n’a plus fait de tiki il a créé son modèle à lui.

Tu penses que s’il n’était pas devenu témoin de Jéhovah il aurait fait des tiki toute sa vie ?

Je sais pas.

Le fait que ça soit interdit, ça l’a obligé à trouver quelque chose…

Peut-être il va trouver quand même. Comme c’est un sculpteur qui est inspiré. Il va chercher. Comme il y a plein qui sculptent le tiki lui il va chercher son modèle. Chacun son modèle. Il y a plein de clients qui me disent tu peux pas faire du tiki pour moi ? Je dis non. Si vous voulez des tiki il y a des sculpteurs pour le tiki. Moi je fais des figurines. Faut pas mélanger. Il y a des sculpteurs qui font le tiki. Il faut aller les voir.

Vaiere Mara – Buste en corail

Oui, il y en a déjà assez comme ça qui font des tiki…

Ben faut les laisser. C’est à eux. Chacun créé son modèle.

Et ça ne t’intéresse pas de rentrer dans le système des galeries, tu travailles comme ça dans ton coin… Ton papa c’était pareil ?

Il avait fait une galerie mon papa. C’était Michel qui s’occupait à Raiatea. Mon frère. C’était lui qui gardait le stand. En fait c’est un local que mon père avait loué, il y avait toutes ses sculptures dedans.

Ha oui, à Raiatea ?

Dans la ville. Pas loin du marché. Hé ben il y avait plein de professeurs sur Raiatea qui achetaient les sculptures de mon père. Même l’hôtel Bali Hai de Raiatea, c’était Kelly, lui aussi il avait des sculptures à mon père.

Sinon pour le corail tu travailles comment ?

Ciseau à bois. Pas de machines. Et râpe. Pas besoin de grand-chose pour le corail. Comme il est tendre. Juste besoin de quelques outils. Je vais te montrer mes outils.

Vaiere MARA - extrait, par Jonathan Bougard from TK-21 on Vimeo.

Frontispice : Vaiere Mara – Danseuse tahitienne en corail blanc.

Vaiere Mara – Détails d’une vahine à l’hibiscus en corail