jeudi 24 janvier 2013

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Oil Pump

Sourds battements du temps

, Henning Lohner et Jean-Louis Poitevin

De tout le "raw material" rassemblé pendant plus de vingt ans de travail pour le cinéma et la télévision, Henning Lohner extrait un catalogue d’images individuelles, appelées tout simplement "Moving Pictures". Chaque image est reproduite en boucle dans un cadre digital. Elle est à accrocher au mur comme un tableau. Les "Moving Pictures" sont présentées pour la première fois en 2006, dans la galerie Springer & Winckler à Berlin. Depuis, les œuvres de Lohner ont été exposées dans le monde entier.

Monter, descendre, tourner, monter descendre, tourner, va-et-vient d’un bec piquant vers le sol, ne l’atteignant jamais, et les câbles comme une chaîne et les bras en équilibre au-dessus du sol et les tuyaux partout : tout ici est danse énigmatique et prière à la Pacha Mama d’animaux d’acier asservis à leur tache.

Derrière, totems nus, les pylônes électriques et dans une proximité ombreuse, immeubles et maison. Absents : les hommes.

Pourtant, ici tout parle leur langue, tout : l’accumulation de lignes droites, la répétition de mouvements identiques, le rythme à la régularité inégalée malgré le décalage incompressible entre les becs des monstres d’acier, signature de l’incalculable dans la rigueur du prévisible.

Ainsi va la musique, une musique répétitive où le thème revient chaque fois identique mais avec une légère distorsion, chaque puits ayant son propre tempo.

C’est la vie qui se montre, la vie qui s’énonce, cavalcade lente d’un cœur invisible dont le sang est noir, noir comme l’encre, noir comme le pétrole brut, noir et gluant comme le sang de la terre une fois que se sont éteintes les laves originelles.

Cette danse, cette musique sont aussi celles de l’argent, ce sang artificiel sans lequel désormais nous ne pouvons plus vivre et ces animaux totémiques, eux, sont les moulins à prières que nous adressons à des dieux dont nous ignorons ce qu’ils nous veulent.

Cette danse, cette musique ont remplacé celle des grains de blé que les paysans agitaient dans leur van. Mais leur pouvoir d’envoûtement est encore plus grand. Elles sont l’écho d’un vent qui rend fou. Raymond Chandler l’avait compris. Dans Le grand sommeil (The big sleep), il situa la mort Rusty Regan, le mari de Vivian seconde fille du général Sternwood, victime innocente d’une folie ordinaire, au pied de ces totems mobiles. Carmen, instable et schizophrène l’avait tué par jeu. Pour couvrir l’accident, on fit appel à un truand. Puis tout s’est enrayé, du côté des humains.
Car les totems mobiles, eux continuent de balancer leur carcasse d’acier dans un ciel indifférent.