mercredi 23 septembre 2015

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Mark Brown, gentleman tisseur

l’élégance de la trivialité

, Mark Brown , Martial Verdier et Virginie Rochetti

Mark Brown tisse sur de tout petits métiers des scènes de vie, des couleurs, des impressions de jardins. Mark Brown invente aussi un jardin des ères anciennes.
Il rêve en fils et en arbres des moyens de retenir le temps.

Les tissages minuscules de Mark Brown, minutieusement travaillés sur leur métier en boîte d’allumettes, et représentant, dûment observées, des scènes de vie quotidienne, de match de rugby, voire d’une intimité osée, forcent notre sensibilité de regardeur.

Par leur minutie, le sentiment du temps qu’ils contiennent, leur charge émotionnelle saute à la figure. Que le tisserand vous explique qu’il a commencé à tisser à l’âge de sept ans sur un quiproquo, vous sorte sa première bande tissée, relique d’enfance précieusement conservée, matrice de tout son travail et vous voilà jeté dans la poésie pure.

Poésie toute tissée de quotidien. Son inspiration se nourrit des petites bandes d’étiquettes marquées de son nom pour la colonie de vacances, de ces woven (c’est à dire tissé en anglais), alors qu’elles sont brodées, puis plus tard des images des magazines, publicités glanées ça et là.

Trivialité, de celle qui, si l’on s’arrête un instant pour la regarder, fait la beauté du quotidien. Petits détails, choses insignifiantes, jeux de couleur et de lumière, ils se subliment dans le long travail du tissage. Trivialité aussi, frisant l’obscénité des ces corps masculins, body-buildés, de sportifs bien membrés, de bière ordinaire… Ils atteignent à une spiritualité goguenarde, reportés sur le fil, entremêlés comme à la mêlée, entrelardés de rose et orange.

« Avez-vous remarqué que la peau est orange en réalité ? » nous dit-il soudain inspiré par une bobine de fil brillant au soleil.

Ces délicates œuvres de quelques centimètres ne sortent que rarement de leur boite, sans doute par modestie, mais aussi sans doute à cause de leur fragilité et de leur rareté. Ces tissages demandent à Mark Brown plusieurs semaines de travail, tant la finesse du fil et la complexité des manipulations imposent d’attention et de temps.

Comme il travaille son jardin préhistorique (dont nous vous parlerons dans un prochain numéro), avec la constance de celui qui sait qu’il ne sera visible que dans trente ans, il cultive la patience en tissant. Car s’il lui faut une semaine de travail continu pour faire une pièce de 15 cm de côté, il s’y lance avec ferveur, le temps est son allié, l’invisible son jardin.

Tout dans son œuvre nous parle du temps. De celui qui fait tant défaut dans la vie courante du XXIe siècle. Celui des gestes inlassablement répétés de l’aiguille qui court sur le métier, de la binette et du sarcloir. Le temps aussi, de la contemplation.
On pourrait penser à l’Arte Povera ou à l’Art Brut, il n’en est rien, Mark Brown est inclassable, singulier, britannique. Avec cette nonchalante élégance, cet humour discret, ce sens de la poésie, de la culture qu’il a rapportés d’Outre Manche. Il se refuse à tout classement, ne compte pas s’inscrire dans un quelconque mouvement. Il ne revendique pas, il est.