jeudi 18 juillet 2019

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Logiconochronie — XL

Parce que... suivi de Deux, toujours deux... Deux préfaces autour de poèmes de Werner Lambersy et d’œuvres de Martine Chittofrati et Wanda Mihuleac

, Jean-Louis Poitevin

Werner Lambersy, dont nous publions régulièrement des textes inédits dans TK-21 LaRevue, vient de publier aux éditions Transignum deux recueils de poésies chacun inspiré et accompagné d’œuvres plastiques, les peintures de Martine Chittofrati pour l’un et les sculptures de Wanda Mihuleac pour l’autre.
Jean-Louis Poitevin a accompagné chacun de ces deux ouvrages d’une préface qu’il donne à lire ici aujourd’hui.

Martine Chittofrati

Parce que ...

Mais demain, c’est déjà aujourd’hui, et aujourd’hui, c’est encore plus hier que demain, et hier c’est toujours demain pour l’autre qui sommeille entre les regards, aveugle aveuglément, et si-près-si-loin que la main du ciel le frôle parfois, à travers nous, sentimentalement.

Werner Lambersy voit. Il voit l’écran bleu qui, désormais, balaie de son halo la surface de toute chose et même celle de la mémoire de ce qui ne sera jamais. Il voit que c’est absolu et irrémédiable, du moins pour le temps qui viendra après le temps de la fin du temps. Et il ne pleure pas. Ce serait inutile. Et puis, c’est trop tard.

Et pourtant les larmes coulent, fleuve invisible qui chemine à travers tout avec ses sourdes plaintes.

Voix 1 : - Pourquoi trop tard ?
Voix 2 : - Parce que ...

Martine Chittofrati

Le poème établit son bivouac de dents qui claquent chaque soir exactement sur la frontière de l’énigme entre le pourquoi et le parce que. Cette exactitude seule fait qu’il se déplace sans cesse, lui le poète et avec lui le poème, l’un précédant l’autre et l’autre le suivant, chaque fois dans un ordre non respecté. Car la nuit remue jusque dans les étoiles et les étoiles tombent jusque dans l’assiette et se dispersent en lettres minuscules, poussière du secret entre les omoplates du couvert.

Martine Chittofrati, montre. Peintre, elle entreprend de balayer au bleu l’intégrale des passions simples comme on épongerait une paupière asséchée par le désert de sable de nos mémoires entées dans le silicium des circuits intégrés.

L’œil veille, cyclope bienveillant semblant ne plus en vouloir à Ulysse de piocher sa fuite dans le silence de la caverne. Et la main s’épanche recouvrant l’ombre du doute par la coulure des aveux. Nous sommes cela et ne le sommes plus.

Martine Chittofrati

Elle s’avance aux côtés du poète sur l’escalier sans fin de la spirale indécise qui monte et descend au rythme du geste et du souffle.

Là, il se croisent et se trouvent, quelque part sur ces marches qui ne mènent nulle part puisque l’escalier est, version tragique de la bibliothèque de Babel, aussi infini que limité aux quelques marches visibles sur lesquelles, miracle du parce que …, quelques âmes égarées, parfois, se croisent.

Il faut bien l’avouer, c’est tout ce qu’il y a ici : ce voyage, cette respiration du poème unique parce qu’extensible à l’infini, les couleurs et ce bleu qui s’endorment comme un souvenir n’appartenant à personne.

C’est tout ce qu’il y a parce qu’il n’y a rien d’autre. Parce qu’il n’y aura jamais rien d’autre.

Martine Chittofrati

Est-ce vrai, demande la voix de personne dans le vent du soir ?

Le poète lui répond en parlant à l’immensité du cosmos qu’il rapatrie sur la surface de l’œil pour un instant de chant secret, sacré, intime, sans nom.

Oui, c’est tout ce qu’il y a, a eu, aura, depuis toujours, pour toujours.

Il est seul, seul ou presque, pas à le savoir, mais à le voir, à le dire, à le vivre, seconde après seconde, en agitant le hochet des mots dans le tourniquet des jours.

Il est le seul ou presque à retourner l’ordre de marche adressé aux choses pour qu’elles renaissent dans d’autres mots éveillant avec eux l’immensité banalement radieuse d’un premier matin.

Martine Chittofrati
* * *

Deux, toujours deux ...

Wanda Mihuleac

Un, on nous a vendu le un comme marque de fabrique de l’immensité version pocket. On nous a vendu le un comme dernier parce que premier et premier parce qu’unique. Ah, cette capilotade faussement gaie qui brille au fond de la poêle à frire d’un mensonge pour débutants dans la carrière du secret distribué sous cellophane !

Deux, vous enlevez un il reste l’autre, vous enlevez l’autre il reste l’un, mais ce un là, à la différence de celui qui se vend dans les supermarché de la foi et de la marchandise, est un un de deux, moitié plus que tout, d’un tout moins que lui-même.

Vous l’avez reconnu ?

C’est vous, nous, lui, moi, l’autre, chacun avec sa boule de circonvolutions qui tangue dans le crâne, ballotée par les vents de la nuit profonde, par les courses folles des nuages éclairés aux lumières criardes par les néons branchés sur les ventricules droite-gauche-droite-gauche du coeur perdu.

Wanda Mihuleac

La boule n’est pas ronde. La boule n’est pas une, mais deux.

Qui l’ignore ? Qui y pense au point d’en faire le lamento de ses passions invariantes ?

Les deux moitiés sont les moitiés d’un tout dont elles sont la manifestation supérieurement enveloppante dépassant tous les pronostics, l’un étant l’autre et l’autre l’un, l’un plus que l’autre car l’autre est plus que l’un. Et elles vont, ces moitiés, au pas de l’oeil-oreille-voix-image sur la route qui mord la queue de nos destins sans pareil.

Embusqué dans le sillon - oh voir ce qui se passe entre les lignes ! - le poète s’active. Entre les lignes ! Entre les mondes ! Entre les hémisphères ! Entre l’un et l’autre qui se chahutent dans ce crâne si sombre qu’il a dû s’inventer des orifices pour ne pas se noyer dans son bain. Entre les sculptures de Wanda Mihuleac.

Mais dehors quoi ? La beauté ! Ah la beauté ! Plutôt la cacophonie du mensonge dévastée par la brutalité des pleurs.

Wanda Mihuleac

De son sillon, tout voir tout dire de ce qui se passe ! Non ! Tout dire de ce qui passe de droite à gauche et de gauche à droite de ce conciliabule infini que font caracoler en tête des sondages impubliables ces deux moitiés, chacune plus moitié que l’autre.

Et soudain, comme s’ils avaient réussi l’exploit de se libérer de la nuit des os, portés par les mots du poète, des crânes nous arrivent, floraison de paradoxes dont nous nous nourrissons comme on nourrirait un ennemi que l’on protège sans savoir pourquoi.

Sans doute, ici ou là, on se souvient que l’autre était comme un ami, plus qu’un ami, plus qu’un frère pour ceux qui n’en avaient pas, moins qu’un rêve pour ceux qui ne rêvaient plus.

Une petite voix susurre alors et demande : quand, mais quand ?

Wanda Mihuleac

Et la grosse voix du silence, celle qui s’alimente aux cataractes de l’oubli dit « Dans l’azur nous sentions / les ailes des libellules assyriennes / tel un pressentiment de nuit dense / une étoile funeste scintille . » (Le vent nous réconforta, Ossip Mandelstam)

Et l’on se prend à essayer de penser comment c’était quand l’immensité des ponts entre l’ici et le là-bas passait, côté de l’un et côté de l’autre, et faisait vibrer ce mollusque aux virages inconciliables d’un souffle aventureux qu’aujourd’hui on ne sait plus.

Aux Éditions Transignum Werner Lambersy vient de publier deux recueils :

Le premier est intitulé Bureau des solitudes avec des peintures de Martine Chittofrati.
ISBN 978-2-915862-56-0

Le second est intitulé Brainxit et est accompagné des sculptures de Wanda Mihuleac

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