dimanche 2 juillet 2023

Accueil > Les rubriques > Images > Le cours de la vie

Rencontre avec Frédéric Sojcher

Le cours de la vie

Un film hybride entre fiction et cours de scénario

, Catherine Belkhodja

Frédéric Sojcher, en lisant une leçon de cinéma écrite par Alain Layrac, a un coup de foudre pour le texte et l’envie immédiate d’en tirer une adaptation pour le cinéma. Alain Layrac, un peu sceptique au début, finit par être convaincu par l’enthousiasme contagieux de Frédéric Sojcher, et accepte d’écrire une adaptation pour en faire une fiction, qui aurait pu avoir pour titre "Et si…", point de départ de toutes les inspirations des scénaristes.

La publication préalable du texte :

Séduit par la qualité de cette leçon de scénario, Frédéric Sojcher fait aussitôt publier ce livre aux Editions Hémisphères dans une collection de livres qu’il dirige. « Son approche n’était ni théorique ni didactique, mais avait comme credo d’incessantes passerelles entre la vie et le cinéma. »
Il a alors une illumination :
« ET SI… nous adaptions ce texte au cinéma ?"
Alain Layrac lui répond qu’il est fou, qu’un livre évoquant un atelier d’écriture ne peut pas être porté à l’écran.
« MAIS SI… on créait des personnages de fiction   ?"
" ET SI les cours n’étaient pas que des cours, mais qu’il y avait une intrigue parallèle ? »
Frédéric, très persuasif, finit par convaincre son ami Alain Layrac.

Dans la première version du scénario, le film se déroulait à Bruxelles, où se trouve une très belle école de cinéma d’animation, dans l’abbaye de la Cambre.« Un décor réel, qui faisait penser à celui du film d’Alain Resnais, "L’année dernière à Marienbad" avec des terrasses suspendues au cœur de la ville » précise le réalisateur.

Un scénario refusé à trois reprises à Bruxelles.

« Sans l’aide de cette Commission, il est quasiment impossible de financer un film belge en Belgique francophone », déplore Frédéric Sojcher en ajoutant : "Ce n’est pas le cas en France où il y a chaque année des longs métrages qui se tournent sans l’aide de l’avance sur recettes du CNC".

Il a donc dû chercher d’autres solutions pour rendre le film possible : l’école de cinéma ENSAV de Toulouse, dans un ancien hôtel particulier du XIIIᵉ siècle. Avec l’accord du Directeur, il a pu, accompagné de sa productrice, expliquer aux élèves les enjeux du scénario et de la Production.

Les élèves ont pu ensuite, après une formation adéquate, s’impliquer dans le tournage. Pour des raisons de production, Frédéric Sojcher a relevé le défi de faire le film en 15 jours.
Il s’était engagé auprès de Daniel Baschieri, le Directeur de production, à ne pas dépasser ce planning, et ne pas non plus faire d’heures supplémentaires. Pari réussi. Le réalisateur précise :
« J’ai pu respecter cet engagement grâce à ces trois facteurs :
- Tous les décors étaient fixés dans le même périmètre.
- Les acteurs connaissaient bien leurs textes et étaient excellents dès la première prise.
- J’avais établi un dispositif et un beau rapport de complicité avec le Chef opérateur. Nous avons même réussi à proposer aux acteurs qui jouaient les étudiants un temps d’improvisation qui n’étaient pas dans le scénario. La fin a également été modifiée. 10 % du film environ ont été réalisés ainsi. »

Une écriture en duo ?

« Je n’ai pas pris part à l’écriture du scénario, mais Alain Layrac a pris en compte mes retours et mes envies et s’est inspiré de moi et de ce qu’il connaissait de ma vie pour créer le personnage de Vincent, le Directeur. Le personnage interprété par Agnès Jaoui est plus proche de lui. »

Le choix du casting s’est fait en plusieurs étapes. Le réalisateur a d’abord convaincu les deux acteurs principaux, Agnès Jaoui et Jonathan Zaccaï, ainsi qu’un autre acteur auquel il tenait : Stéphane Hénon.
La productrice a proposé Géraldine Nakkache, qui a eu droit à un "rôle sur mesure » après son accord.

"Pour les acteurs de la Région Occitanie, un casting a été organisé. Certains acteurs jouent pour la première fois, ce qui n’est pas le cas pour Guillaume Douat, qui est la révélation du film. "
On l’avait pu le voir dans « Les hommes du feu » de Pierre Jolivet, mais nul doute qu’il fera encore parler de lui dans les mois qui viennent.

Des acteurs non pas dirigés mais « accompagnés »

"Ce que je préfère dans la réalisation d’un film, c’est l’échange avec les comédiens. Pour moi, cela se passe d’abord avant le tournage. Il y a là quelque chose d’instinctif de part et d’autre : être bien ensemble !
Cela se sent tout de suite, quand il y a une confiance réciproque, une envie de travailler sur un film, de l’ordre de la contagion. Sur le tournage, j’aime que la caméra s’adapte au jeu des comédiens quand cela est possible. Il y a comme une alchimie entre le texte du scénario et la personnalité du comédien qui permet au film de devenir « vivant ». Quand cela est possible, j’aime aussi laisser une place à l’improvisation « dirigée » (c’est-à-dire en donnant à chaque comédien des pistes avant de tourner, sans que les partenaires de jeu ne soient au courant de ce que j’ai dit à chacun d’eux). L’essentiel, c’est de « regarder » ses comédiens, qu’ils se sentent aimés.

Douze ans d’attente

"Mon précédent long métrage de fiction, « Hitler à Hollywood » date de 2011. Je me suis battu depuis, pour refaire un film de fiction. Il y a eu plusieurs projets qui n’ont pas abouti, faute de financement. Entre le moment où j’ai eu l’idée du « Cours de la vie » et sa sortie en salles, cinq ans se sont écoulés."

L’esprit et la lettre

« Je ne crois pas qu’il faille respecter une réplique de manière religieuse, mais je tiens par contre à ce que les intentions de la réplique soient respectées. Plus encore : que le sous-texte soit compris (ce que l’on ne dit pas est souvent plus important encore que ce que l’on dit dans un dialogue).
Si un comédien veut changer son texte à la marge, cela ne me dérange pas du tout… car il faut qu’il soit à l’aise avec les mots. Mais, c’est à moi et à moi seul de juger si les propositions qu’il fait sont ou pas cohérentes avec ce que raconte l’histoire. »

La distribution

Le film est sorti sur près de 150 copies en France, ce qui était inespéré pour une « petite » production (budget de moins de 1 million d’euros).

"Les premières données sur les entrées en France sont très encourageantes.
Au-delà de ce film et de sa démarche, il est essentiel que des films à petit budget puissent continuer à être financés et à être diffusés. C’est aussi une clé pour continuer à expérimenter d’autres écritures filmiques."

« Le cours de la vie » est sorti le 10 mai en Belgique en même temps qu’en France, « mais je n’ai pas la chance en Belgique d’avoir une exposition en salles de même envergure, déplore Frédéric. « Seul UGC à Bruxelles joue le jeu. La plupart des salles d’art et essai de Wallonie (comme les Grignoux) ont refusé de le programmer. Cela est tout de même étonnant, pour un film réalisé par un Belge avec, dans le rôle principal masculin, un acteur belge, Jonathan Zaccaï… et avec Agnès Jaoui. Sans être parano, nous sommes plusieurs à nous demander si je ne paye pas là le prix d’avoir fait le film en France…" Coup de chapeau au distributeur belge, Rockstone, qui se bat pour que « Le cours de la vie » existe dans « mon » pays. »

Le film vient à peine de trouver un vendeur international. Sans vendeur international, il est difficile de proposer, en étant crédible, un film dans les grands festivals à l’étranger. « Le cours de la vie » a été sélectionné au Love Film Festival de Mons, en mars dernier et a obtenu le Prix RTBF et le Prix Cineuropa. « Je suis très heureux que mon film ait été présenté et récompensé dans un festival qui a comme thématique « les films d’amour », car « Le cours de la vie », c’est d’abord cela » conclut Frédéric Sojcher en souriant.

Le scénario d’Alain Layrac est bâti tout en finesse et « l’accompagnement d’acteurs » est remarquable. En outre, Vladimir Cosma nous offre une belle prestation en composant une musique « qui, dit-il, loin de souligner les images, fait deviner « ce que l’on ne voit pas »
Cette réalisation ravira particulièrement tous les cinéphiles… et les autres

Jonathan Zaccaï affirme encore son talent avec une fine interprétation d’un homme sensible et blessé. Géraldine Nakkache apporte sa pêche et Agnès Jaoui, d’un naturel éblouissant, éclaire avec générosité tout le film de sa présence solaire.

Notes

[1Jean-Paul Törôck : Enseignant et scénariste, décédé il y a cinq ans. Il a co-écrit « Le mauvais fils » de Claude Sautet.

Un film de Frédéric SOJCHER.
Synopsis :
Noémie, célèbre scénariste, est invitée à donner un cours de masterclass sur le scénario. Elle y retrouve Vincent avec qui elle a vécu quelques années, le Directeur de cette prestigieuse école de cinéma. Ils évitent au début d’évoquer leur passé. Noémie l’a quitté autrefois, et Vincent qui n’a pas eu la force de lire la lettre de rupture, ne s’en était jamais remis. Il a perdu confiance en lui et n’a plus jamais fait de film.
L’intrigue est structurée par le cours de scénario où Noémie tente de susciter chez ses élèves de vrais réflexes de scénariste en leur apprenant à se poser les bonnes questions. Les élèves sont attentifs, mais n’hésitent pas à la contredire ou à la provoquer. Noémie s’en sort chaque fois avec subtilité en les incitant à bien observer leur entourage pour trouver eux-mêmes des exemples qui leur soient personnels.
Scénario Alain LAYRAC
avec Agnès Jaoui, Jonathan Zaccaï et Géraldine Nakkache
Sortie France : 10 mai 2023