mercredi 1er mars 2023

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La rumeur du temps

, Olivier Pasquiers

C’est si loin ce dont on se souvient. Parfois, en rêve, quelque chose d’autrefois vient nous surprendre comme un maintenant revenu. Mais à peine réveillé on en a perdu le vif. Le souvenir est dans l’ombre. Le flou.

Or c’est étrangement ce que les photographies que prend Olivier Pasquiers avec sa camera obscura semblent nous montrer. Des objets, des visages, des végétaux, qui tout à la fois sont et ne sont pas là. Se présentent et se refusent. "Comme si en eux le souvenir et l’oubli coïncidaient". Expérience étrange qui renvoie chacun à ce monde du rêve où les choses sont et ne sont pas. En même temps.

Le paradoxe est que cette vision est obtenue avec des outils des plus rudimentaires. Hors de tout "effet spécial", de tout "trucage". Des outils connus depuis l’Antiquité, le seul ajout, ici, étant l’objectif et la capture numérique de l’image produite par la chambre noire.

Des outils antiques pour fabriquer des images des rêves !
C’est sans doute de cela, ce long chemin antique, ce long chemin des rêves, que vient la sensation étrange qui nous surprend en regardant ces photographies.

Car si ces images comme rêvées nous renvoient à des choses passées, des souvenirs, celles-ci ne nous reviennent pas comme sur une photographie ancienne, jaunie. La petite voiture miniature, par exemple, nous apparait comme un objet d’autrefois mais vu depuis aujourd’hui. A travers l’épaisseur du temps dont ce halo qui l’entoure, cette brume, sont en quelque sorte la rumeur. La rumeur du temps lui-même. Les astronomes disent entendre, avec leurs instruments, le bruit de la création première. Toute proportion gardée, il y a ici quelque chose de cela. On entend cette rumeur qui nous vient d’un autrefois. On ne revient pas à cet autrefois comme d’un coup de baguette magique (retour dans le futur). On voit la petite voiture d’autrefois depuis notre aujourd’hui, et c’est pour cela qu’elle nous parvient toute embrumée de temps.

Cela est très mystérieux. Et pourtant si simple. Naïf, même. Il n’est question ni de fantômes, ni de revenants, mais de fruits, de jouets, de pipe. Même les visages des photographies re-photographiées ne nous reviennent pas comme des revenants, mais comme ils sont présents aujourd’hui dans notre mémoire. Visages flous, évanescents, de ceux restés dans l’autrefois et qui y demeurent.

C’est d’ailleurs cette distance maintenue qui procure une sorte de vague à l’âme, de mélancolie, presque. Sans doute, aussi, à cause de la délicatesse avec laquelle Olivier Pasquiers sort les objets du vieux coffre à jouet, tire les photos de l’album de photos pour venir les poser devant sa camera obscura qui va les faire voyager jusqu’à nous.

Aussi bref que soit ce voyage, il les drape de temps.

Michel Séonnet, février 2023, petitspointscardinaux.

Voir en ligne : www.pasquiers.com