I am folding the land - Je plie la terre

« L’artiste trace les lignes de blessure de la terre, qu’est la faille sismique de son pays, avec des pellicules mourantes. » Ryoko Sekiguchi
« J’interroge ce paysage sur ce qu’il nous dit du monde, de la transformation du territoire physique et de la pensée, qui lie le visible à l’invisible. Le paysage ne peut être écarté de sa dimension politique et poétique. Il ne peut être considéré comme une page blanche, il confronte l’action à un ensemble plus ou moins dense de traces, de plis, de résistance qui le composent. Un espace qui n’est jamais figé, toujours en devenir. » Catherine Cattaruzza

Dans les interstices, les mouvements infimes, les accidents de pellicule, à travers le tremblement, se glisse la possibilité d’appréhender de manière émotionnelle ce qui fait la réalité de ce pays le Liban traversé de failles et de frontières. Cette analogie entre les mouvements sismiques et les bouleversements politiques se produisant souterrainement met l’intangible à la surface tandis que la péremption de la pellicule dont la date est soigneusement choisie pour alimenter le retour discursif, devient un axe conceptuel produisant, dans le basculement et l’effacement du paysage un état de liminalité engageant le spectateur. Cet entre deux, comme conceptualisé par Arnold Van Gennep est lié aux passages, aux frontières, aux moments de bouleversements où l’on n’est pas encore sans être déjà. Là où tout devient possible. Cette liminalité exprimée dans les accidents de la pellicule, dans la fragmentation des images en grandes verticalités génère pour le regardeur un espace d’inclusion paradoxal s’agissant de lignes de fractures.
Évoquant, bien que basculé, le travail de Joseph Koudelka sur Israël, il s’en détache néanmoins par un goût de l’espace poétique, non documentaire, plastique. En cela ce travail s’inscrit dans le mouvement de la photographie plasticienne mettant en jeu, laissant le jeu pour un espace jamais figé, toujours en devenir dans lequel le spectateur intègre sa vision et son imaginaire.

À l’instar d’un Julien Gracq, le long de la frontière, dans l’immobilité, observant de micro mouvements tremblants, nous attendons ce qui doit advenir dans l’incertitude symbolisée par les manques, les vides laissés sur les images par l’action du temps sur la pellicule. Entre effacement et effroi, nous nous tenons devant ce paysage si singulier. Imprimées sur de grands panneaux verticaux, les images mettent en jeu le corps du spectateur qui circule, comme pris dans le fragment de paysage, dans la faille. Mettant en scène une pensée archipélique à la Edouard Glissant, rattrapant le tremblement à la fois de l’image et du concept, Catherine Cattaruzza nous entraîne dans un voyage riche de sens et de poésie.

Cette série sur les zones de conflits et la représentation les guerres latentes s’inscrit dans le cadre d’un projet à long terme en Chine et en Corée du Nord.