vendredi 30 septembre 2022

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Hallucinations maîtrisées

Une exposition de Vincent Victor Jouffe et d’Yves Trémorin

, Jean-Louis Poitevin , Vincent Victor Jouffe et Yves Trémorin

Yves Trémorin et Vincent Victor Jouffe ont conçu et présenté cet été dans un lieu hors normes, – un hangar aménagé dans le golf de Lancieux par la Galerie des petits carreaux de Saint-Briac – une exposition commune de certaines de leurs œuvres, récentes comme anciennes.

Leur parti pris était simple : faire se rencontrer le dessin, le tracé, la ligne, les points dispersés sur une feuille, les graphes, les traces du travail de la main comme celles de l’ordinateur, avec la précision de l’image quand elle s’approche si près de son sujet qu’elle en révèle, à l’intérieur même des formes, ce qui les trame, les lignes de force secrètes et les veines vitales.

Chacun a, pour l’occasion, préféré la cohérence du propos commun à la continuité de ses habitus. Pas de série pour Yves Trémorin mais des prélèvements dans plusieurs séries. Pas de photographie pour Vincent Victor Jouffe, mais des dessins anciens réalisés à la main sur papier ou numériques pour les plus récents.

Dans les deux cas, ce qui est en jeu c’est la question de la vision et avec elle de l’hallucination. En effet, nous savons que nous voyons, mais nous faisons tout pour continuer d’ignorer que ces « visions » sont toujours portées par une part non négligeable d’hallucination. Les deux artistes, chacun par des moyens différents mais congruents, travaille non pas « sur » cette question mais « avec » ou « à partir » de cette double articulation constitutive de l’image, de toute image, de chaque image.

Yves Trémorin

Que la main parcoure une surface de papier ou l’écran d’un téléphone portable bas de gamme, c’est encore et toujours la main qui agit. Mais qui dit main agissante dit œil au second plan. Et qui dit dessin final, dit retour de l’œil au premier plan puisqu’il est le vecteur du regard. En d’autres termes ce qui se joue ici encore et toujours, c’est la relation œil main, ou si l’on veut la question de la relation dessin image.

Pour Vincent Victor Jouffe ce que garde en mémoire l’appareil de prise de vue est un paquet de pixels. La perception modifiée devient le support du visible à venir. Agrandie, l’image captée, qui ne représente rien, devient un dessin. L’image s’ouvre à ce qui la trame, le geste et le trait. Puis, imprimée, elle s’impose comme détermination d’un visible renouvelé. L’image est un dessin, car le dessin est devenu image. Le brouillage s’éveille au chaos qui le porte comme les dessins à la main, plus anciens, étaient eux aussi porteurs de formes à venir dont l’apparition consistait justement en la capacité de l’artiste, entendons de la main, à les faire émerger du chaos des lignes et des surfaces recouvertes de traits.

Pour Yves Trémorin, le parcours est en quelque sorte inverse. L’image photographique autrefois argentique, désormais numérique, rapprochait la chose photographiée de l’œil d’une manière telle qu’elle se présentait comme une image à fort coefficient d’exactitude mimétique mais que, ménageant sur ses marges une aura, un flou ou un noir profond, le visible se faisait alors plus proche de la vision ou de l’hallucination que de la simple « vue ». Mais ce qui rapproche ici les deux démarches, c’est le fait que cette proximité étouffante presque avec la chose montrée fait apparaître non pas la forme comme pour le dessin, mais la trame. Ici le visible accouche de la trame, de la découpe, en d’autres termes du dessin. Car il y a des transparences qui émergent et de ces transparences naissent des lignes, des veines, des systèmes de circulation des énergies qui sont comme les doubles des traces que laisse la main sur la feuille dans le dessin. Que l’on puisse voir, de surcroît, dans ces images d’Yves Trémorin, une sorte d’auto-portrait en oiseau moqueur, ne change rien à la donne. Ce qui se joue ici, c’est une méditation sur l’image non en tant que support d’une réalité mais en tant que vecteur de l’émergence d’une forme.

Vincent Victor Jouffe

Ce qui rapproche de plus les démarches des deux artistes, c’est ce que l’on nomme habituellement le corps. Évident dans les photographies, il est, par le procédé de l’exposition à la lumière auquel il est soumis dans le protocole de prise de vue, en mesure de révéler certains de ses mystères. Et son mystère, c’est que la chair est portée par des armatures et des structures de toutes sortes, os, veines, nerfs. Devenant pour part visibles, ces structures nous conduisent à associer en lui la vie et la minéralité. Le temps s’esquive pour laisser l’apparition s’emparer du visible. Dans les dessins, le corps est ce qui émerge des traces, des traits, des gestes. C’est son devenir figure qui importe et c’est cela que le regard cherche à voir non tant pour se rassurer qu’afin d’accomplir la transmutation de la pierre en chair, du chaos en forme, de l’éros implicite en offrande à un dieu absent.

Humaine ou animale, c’est la figure qui est célébrée dans cette exposition, une figure qui nous saute aux yeux et s’impose à nous comme une hallucination partagée.

Yves Trémorin
Vincent Victor Jouffe
Yves Trémorin
Vincent Victor Jouffe
Yves Trémorin
Vincent Victor Jouffe
Yves Trémorin
Vincent Victor Jouffe
Yves Trémorin