samedi 30 juin 2018

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Des nouvelles du numérique

, Laëtitia Bischoff

Il est un continent où nous macérons, où l’on s’y trempe jusqu’à une ultime décoction.

Ce continent se nomme numérique. Une fois entré, on nous somme d’y rester, la marche à suivre change, elle se transforme, alors on reste, on s’accroche. Ce continent a aspiré nos démarches administratives pour s’en faire une production vivrière. Nous sommes de plus en plus des touristes en voyage organisé. Le numérique est comme une couche, un cocon au départ confortable, qui se resserre de plus en plus. Il se fait nécessitant, requérant plus de texte, de mémoire, de sécurité, de manipulations, elles-mêmes de plus en plus complexes ou bizarres. Il aspire nos actes, les avale dans son cortex. Où sont passés les bas de laine et les placards, auxquels personne ne touchait ? Nous avons de nouveaux classeurs, on y laisse fouiner Google. Nos trésors sont à tous.

Un bout de poésie se niche forcément, quelque part, dans ce nouveau continent, mais où ? Au cœur du point de départ, au fin fond d’une puce électronique existent signes et formes. Valérie Legembre, photographe-plasticienne travaillait à ST Microelectonics, en tant qu’opératrice en salle blanche. Au fil de ce travail utilitaire, son œil de photographe passe les barrières de sécurité, se met à fonctionner même en tenue blanche intégrale. Elle rapièce des jointures au microscope. Au nanomètre, quelle surprise. Avec l’accord formel, écrit, signé de ses employeurs, elle peut dorénavant photographier ces bribes de nouveau monde. Une géométrie codée, travaillée comme un langage, des couleurs séduisantes, voici les tapis, les tapisseries, les motifs identitaires du numérique. Il s’est construit un décor de silice, une langue hiéroglyphique. Bien loin des monuments hyper-visités de la cité numérique, niche la culture propre d’un monde invisible. Une culture qui a sa propre poussée intime, une culture qui ne se sait pas elle-même.

Extraits de ma conversation avec une puce électronique :

Je t’ai pris pour Aztèque
Mais tu étais inerte.
Tu me crois Atlas
Je ne suis qu’argile.
Je t’ai pris pour ville
Dans tes rues, je fonds,
Et tu t’es moqué.
À mon conte
Tu réponds par signes cadencés.
Je te pense sahélien
Tu es neuf
Tu te dis sans saveur
Je t’ai cru millénaire.

Extrait de la série Motifs – Valérie Legembre

Également bien loin des centres villes de ce nouveau continent, vivent aussi des danses. Les algorithmes font mine de respirer, de descendre en pesanteur, ils singent des tourments. L’humain y voit du vent, de la lumière, de la pluie, des tourbillons. Les théâtres d’Adrien M et Claire B, sont comme un fil de saison en terre numérique. En une heure à peine, on parcourt une année climatique. Ce sont des intempéries avec lesquelles l’acteur ou le danseur converse, sur lesquelles parfois il intervient. Des points de lumière se mettent à bouger au passage des bras, des jambes, des mains. Quand l’humain pointe l’index, un point lumineux vient ricocher directement dessus puis rebondit dans l’espace. Une actrice tourbillonne et les points se transforment en jets tournoyant de lumière. Le réel et le virtuel sont en perpétuel conversation. Adrien M et Claire B ont créé l’océan, le pont des rencontres poétiques entre le code et le corps. Ensemble, tous deux jouent et dansent. L’un parfois nargue l’autre mais les rapports de force sont équitables. Le spectateur en oublie que le jongleur-informaticien et la plasticienne de cette compagnie de spectacle sont aux commandes.

Le mouvement de l'air / The movement of air from Adrien M & Claire B on Vimeo.

Alors bien sûr, sur notre bonne vieille terre réelle, à grand renfort de Printemps du numérique, de bourse dédiée aux initiatives artistiques dans le champ du numérique, le politique et ses gros sabots usent de l’art car l’art délivre comme il se doit, comme de tout temps, entre autres, le message des puissants. Pour créer les marques du futur, qui marqueront les esprits du présent, on forcera la révolution des usages avec l’art en étendard. Heureusement certains plasticiens et artistes du spectacle vivant, subventionnés ou non, sont là pour nous faire converser avec un numérique de vie, avec un continent riche de danses, de mœurs, de langues et d’images.

Couverture : Extrait de la série Planètes – Valérie Legembre