jeudi 18 juillet 2019

Accueil > Voir, Lire & écrire > Lire & écrire > Dernier coup de poing

Gérard Gartner

Dernier coup de poing

Gérard Gartner

, Gérard Gartner

Homme aux mille vies, Gérard Gartner, qui fut boxeur et dont nous avons présenté le travail de sculpteur avant destruction dans le N° 56 (28 mars 2016) est aussi un écrivain. Avec Dernier coup de Poing, il impose un style qui donne toute la puissance nécessaire au crochet du droit qu’il envoie à la tête de LA BOXE pour lui faire rendre ses dents, à cette BOXE lorsqu’elle commence à NIER ses propres valeurs pour rentrer dans le rang de l’absence d’éthique et de style qui caractérise la société du spectacle.

Le jeune Théo Medina, qu’on a inscrit à l’école primaire, s’en évade et va vendre des citrons à la sauvette. En 1933, il a 15 ans lorsqu’on l’arrête pour vagabondage et escroquerie aux cartes, son nom est déjà dans le journal : « Le plus jeune bonneteau de France ». Sévèrement, la justice le condamne à vivre en maison de correction jusqu’à sa majorité, mais sa mère fera le nécessaire et réussira à le tirer d’affaire. L’année suivante, il se fait admettre au Ring de Pantin et devient champion de Paris amateur. Il rencontre une mignonne Gitane ; avec elle, il prend la route, ramasse les petits pois, fait du cinéma ambulant avec la famille de la jeune femme et se marie.

« Juste avant de partir militaire, dit Théo, j’ai disputé le combat vedette du Central. Ça, c’était quelque chose ! Parce que boxer en vedette au Central, c’était la porte ouverte pour la gloire, l’école de la boxe, c’était le Central ; il fallait y faire son trou, percer son chemin à travers une forêt de types durs et ambitieux qui n’avaient comme moi que la boxe pour échapper à la misère ; il fallait vraiment être un crack, un garçon d’avenir, pour sortir du Central et être admis à boxer à la salle Wagram. »

En 1934, suite à la maison de correction, Théo avait donc quitté la maison paternelle pour tâter de la boxe : « D’accord mon gars, lui avait répondu Maurice Guérault, le manager du Ring de Pantin, et si tu ne sèches pas les entraînements, ce sera gratis pour toi. »

Sans le signaler à son professeur, le gamin avait déjà, en privé, dans une boutique de Saint-Ouen, fait une première expérience et mis K.-O. un autre jeune adolescent pour gagner quelques pièces. Séducteur et bagarreur en herbe, son premier succès, il le décrocha à l’âge de 10 ans en colonie de vacances aux Sables-d’Olonne : un garçon paradait devant les filles jusqu’au moment où Théo, afin de préserver sa chance contre ce plus grand et gros que lui, dut « l’étendre pour le compte » devant les beaux yeux de la gamine toute conquise.

En 1934, le boxing business, naissant avec les métiers se nourrissant de la boxe, a transformé les pugilistes en proies utilisables et contribuant au profit des matchmakers et managers. Les uns les autres, se fréquentant, règlent à l’avance les décisions, arrangent les matchs, favorisent un combattant aux dépens de l’autre, manigancent les paris, manipulent la chance et en même temps, flattent la foule en lui proposant des rencontres déséquilibrées, risquant d’être meurtrières mais rapportant gros aux mafieux ; pression est faite sur leurs poulains : « Ce sera pour toi une bonne affaire » leur dit-on pour les tenter. Alors, tous les managers sont de connivence, leur pourcentage convenu sur le montant de la bourse octroyée aux boxeurs est de 33 %, certains prennent même davantage. Un seul reste correct, c’est celui de Pantin qui soustrait seulement 15 % et quelquefois moins.

Ironie des choses, Medina a pris la décision de se faire boxeur au moment même où Léon Sée, le manager de Primo Carnera, crache dans la soupe et dévoile dans un livre la mascarade organisée qui entoura son boxeur poids lourd. Dès le préambule, il annonce la couleur : « Je vais tout dévoiler, tout divulguer, je vais raconter l’incroyable aventure, une histoire sans précédent dans les annales de la boxe. Bien des gens refuseront de me croire car la vérité est parfois plus invraisemblable que le roman, d’autres penseront que j’écris dans un esprit de rancune et de vengeance. »

À l’exemple du livre de Léon Sée, je tente moi aussi de tout dire ou de me taire. Le cri qu’il a lancé en 1934 résonne encore si fortement à nos oreilles qu’il m’était indispensable d’en rapporter l’essentiel. D’après Henri Jeanson : « Primo Carnera, champion préfabriqué par de rusés compères rompus à la fabrication, perdit son titre au 11e round d’un combat humiliant, déchu, ridiculisé, abandonné de tous, le malheureux Carnera, abruti par un K.-O. sans appel, se retrouva tout seul dans les rues de New York sans un dollar en poche, tandis que, sûr de l’impunité, son manager regagnait la France et prenait une retraite dorée. » En décrivant le parcours de son poulain, Léon Sée n’a selon lui voulu faire de tort, ni de préjudice, à personne, parce qu’il n’éprouve ni haine, ni rancune, bien plutôt toujours pour Carnera une sincère affection, ne l’a-t-il pas, comme il dit, « découvert et élevé comme un de ses enfants » ? Tromper le public en truquant un combat, c’est une honte, ce n’est pas chose croyable, disent en chœur les organisateurs et les managers hypocrites. Quant aux faits dont il est question, Léon Sée en prend l’entière responsabilité : « Peut-être me direz-vous : « Mais vous allez tuer la boxe ! », je ne suis nullement de cet avis, on ne tue pas un sport en en dévoilant les périls et les erreurs ou l’incurie de ses dirigeants... Je considère que la boxe mal gouvernée, mal comprise, est un fléau au même titre que la guerre. Ceux qui me blâmeront, peut-être en auraient-ils, dans les mêmes circonstances, autant que moi s’ils en avaient eu l’occasion. Aujourd’hui, je puis tout dire, tout écrire sans crainte, qu’est-ce que je risque ? Ma vie peut-être ? Quelle importance cela peut-il avoir ? Mon existence est écrite, c’est me taire qui eût été une lâcheté. Voilà pourquoi je vais tout dévoiler, j’accepte d’avance toutes les désapprobations. Oui, la boxe est une véritable faucheuse, elle sème la désolation sur son passage comme un fléau. Elle menace la jeunesse à l’égale d’une épidémie, elle présente des dangers contre lesquels les médecins des fédérations de boxe devraient réagir avec énergie. Quant aux dirigeants de la fédération, leur impéritie n’a d’égale que leur vanité, peu leur importe qu’une foule de jeunes gens, de beaux athlètes, soit infailliblement vouée à une faillite physique et morale, pourvu qu’ils puissent trôner, pérorer et dispenser sanctions, pénalités et amendes. Ils ignorent tout de la boxe, ne l’ayant pour la plupart jamais pratiquée ; ils ne savent pas qu’il est véritablement insensé de prendre des coups de poing dans la figure, le cerveau n’est pas fait pour être exposé à des coups violents et répétés à plaisir, il faut être véritablement ignorant pour ne pas le comprendre. Ceux qui dans de pareilles conditions parviennent à devenir des champions sont des hommes exceptionnels. Je me considère comme dix fois moins coupable que les managers sans scrupules qui laissent assassiner sous leurs yeux leur poulain et dont la devise est : « Les boxeurs passent, mais les managers restent ! » Dix fois moins coupables que les dirigeants déplorables des fédérations de boxe qui ne savent rien, ne dirigent rien et qui, je l’ai surabondamment prouvé, ne voient rien. Dix fois moins que les arbitres sans compétences, que les docteurs officiels sans énergie qui ne signalent pas en haut lieu les effroyables dangers de la boxe parce qu’ils ont peur de la tuer. Tuer la boxe ! La grande perte ! Ils préfèrent laisser tuer les hommes. Oui, j’ai le courage de mon opinion. Je considère que la boxe mal gouvernée est un fléau au même titre que la guerre.

Deux alternatives s’offraient à moi : tout dire ou me taire. Sauver des intelligences, conserver la vue à une foule de jeunes gens que la cécité guette, éviter une foule de misères, de déchéances, de carrières et de santés ruinées. Et puis me taire ce serait me désavouer moi-même, ce serait impliquer que j’ai honte de mes actions...

Est-ce du cynisme ? La boxe a ses bons côtés, elle est indispensable, convenablement pratiquée, à tous ceux qui veulent être des hommes capables de se défendre, mais elle présente d’effroyables périls, elle a provoqué d’innombrables désastres. Combien de malheureux qui traînent aujourd’hui leur déchéance physique et morale auraient pu rester sains de corps et d’esprit s’ils avaient su, si on leur avait dit ? Je voudrais que tout le monde sût, c’est pourquoi j’ai écrit cette histoire. J’ai voulu prouver que la boxe de combat, telle qu’elle est pratiquée de par le monde, est infiniment cruelle, que faire battre l’un contre l’autre deux novices inexpérimentés est inhumain. J’ai voulu donner la preuve que ceux parmi les boxeurs qui arrivent à percer, à résister aux coups, à devenir des champions dans les conditions habituelles, sont de véritables survivants. Le public qui applaudit frénétiquement un combat acharné doit être éclairé, il n’est pas admissible que la foule continue à ignorer les effets désastreux des rencontres barbares dont les antagonistes se retirent les sourcils fendus, les mains brisées, les dents déchaussées, le cerveau amoindri. Les docteurs officiels des fédérations de boxe savent tout cela et pourtant ils ne disent rien ; c’est parce qu’ils sont là, qu’ils couvrent en quelque sorte de leur présence la responsabilité des organisateurs que de tels combats sont autorisés. Tous les règlements de la boxe devraient être révisés, les licences de managers ne devraient être accordées qu’à des hommes compétents et conscients de la grave responsabilité qui leur incombe... » Léon Sée achève son récit en espérant qu’il ouvrira en n les yeux de ceux qui ne veulent point voir.

« Un match de boxe doit être une leçon inoffensive, et non pas une épreuve déprimante, un combat dont les deux adversaires sortent abîmés, le vainqueur parfois plus que le vaincu. »

Voilà l’avis de Fernand Vianey : « Contrairement à ce que certains ont prétendu, Primo Carnera boxait très bien, possédait une excellente technique, son style agréable, non dépourvu d’efficacité, était le fruit de beaucoup de travail et d’application. Pour sa morphologie, son poids et sa taille, il était doué d’une souplesse étonnante [...]. Tout le monde était stupéfait de l’aisance avec laquelle il effectuait des exercices que peu de boxeurs confirmés, même de poids inférieur, étaient capables de réaliser. » Reste que la carrière de Carnera repose sur des adversaires payés et des matchs truqués.

Gérard Gartner
Dernier coup de poing
Mémoires
Soliloque d’un ancien boxeur du ring de Pantin
Éditions du Panthéon
ISBN 978-2-7547-4391-1