mercredi 25 mars 2015

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Cri du cœur

À propos des œuvres de Camilla Pongiglione

, Martine Catois

A la galerie Sit down, au sein de l’exposition "Perceptions singulières", qui réunit trois artistes, Camilla Pongiglione, à travers une série d’images intitulée "For heart’s sake", tente de lever un peu du voile des secrets que recèle l’organe essentiel de notre corps : le cœur.

La vie ne tient parfois qu’à un fil. Accidents, maladies, émotions trop fortes, tout peut chavirer d’un instant à l’autre dans ce corps qui nous est donné, et avec lequel on doit composer. À partir d’une expérience intime, Camilla Pongiglione déroule ce fil orchestré par le cœur, maître d’œuvre de la demeure dont nous dépendons.
Entre anatomie du corps humain et métaphores, dessins et photographies, elle nous emmène tout au long d’un chemin que des circonstances personnelles, à l’origine de son travail, ont ouvert : l’attaque cardiaque de son père. Le cœur, pour elle, était jusqu’à peu histoire familiale et familière, planches anatomiques dont la connaissance fut sans doute facilitée par les orientations professionnelles des hommes de la famille (arrière grand-père professeur d’anatomie, père cardiologue).

Touchée, justement, en plein cœur par l’accident de son père, les questions fusent : comment ce cœur, à la fois si fragile mais robuste, peut-il nous lâcher d’un coup, sans prévenir ? Quelle pièce, dans la machine, s’est enrayée ? Quelles causes, physiologiques ou émotionnelles, ont pu provoquer un court-circuit ? Camilla Pongiglione veut comprendre. En elle, se mélangent et défilent des images passées et présentes : planches d’anatomie, souvenirs de complicité familiale, visions brutales du cœur ouvert de son père. Elle aussi ouvre son cœur et libère, en une catharsis bienfaitrice, un trop-plein de sensations emmêlées.
Mettre à jour tout ce que contient notre cœur, est-ce possible ? Venue de l’architecture dont elle a gardé le souci d’ordonnance et de composition, Camilla Pongiglione, méthodiquement, scientifiquement, cherche à en comprendre la structure interne en des dessins aux traits précis mais qui, très vite, sont submergés d’émotion : irrigation, greffes-ramifications végétales, cœur fendu, découpé pour tenter d’en saisir le secret profond.

Au travers de ces entrelacs sans fin, nous percevons, justement, ce que nous ne pourrons jamais qu’entrevoir : au plus profond de notre cœur, une porte s’ouvre sur l’inconnu. D’où venons-nous ? Ténèbres des prémisses, mystère de la création humaine dont les battements du cœur sont les premières manifestations, « first organ can be felt inside the mother’s womb ». Il y a, dans ce secret primordial, une aspiration au sacré, et les flammes qui montent sur l’une des photographies nous élèvent à la rencontre de l’univers, terre, ciel, animaux, hommes et plantes confondus. Du micro au macrocosme, de contraction en dilatation, Camilla Pongiglione embrase pour nous la vie dans ce qu’elle a de plus complexe : c’est un cœur réel qu’elle montre, mais aussi traversé de désirs, de contradictions, de peines et de joies.

Au cheminement de plus en plus précis de ses dessins, répondent alors, comme un écho venu de la mémoire, les photographies d’un coin de soi : souvenirs ressurgis, tirages anciens, lieux emblématiques et chargés. Le va et vient du dedans au dehors donne à la série une dimension ontologique : cœur blessé, tuyaux en jachère qui attendent d’être raccordés en passant par un sas de déchoquage, multitude de filaments qui irriguent, en un réseau complexe, l’organe moteur et, grâce à lui, l’ensemble de notre corps, ligne d’horizon si droite, trop calme sur la mer qu’elle demanderait, comme l’électrocardiogramme, à se remplir de soubresauts de vagues régulières, arbre au cœur blessé, sans doute écho au miroir de nos passions insondables.

Coeur à la fois résistant et fragile, mais aussi cœur ouvert à tous nos émois : le travail de Camilla Pongiglione nous plonge vers les profondeurs obscures de notre corps, là où commence et finit la vie, là aussi où pour nous, restera le mystère.

SIT DOWN 4, rue Sainte-Anastase ... 75003 Paris
www.sitdown.fr ... tél. +33 (0)1 42 78 08 07
Perceptions singulières
Camilla Pongiglione, Øyvind Hjelmen, Ilaria Crosta & Niccolò Hébel
Exposition du 14 mars au 18 avril 2015