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Aldo Caredda #22
Lost in the supermarket #22
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Aldo au Grand Palais Éphémère avec Celan et Kiefer
Quand soudain l’immensité prend corps sous la forme d’un tableau exhibant sa puissance de déferlement et débordant du cadre de l’image, quelque chose se retient, un souffle porté par les mots du poète (Paul Celan) et ensemencé par les neiges du peintre (Anselm Kiefer).
Quelque chose a lieu, ici, face à quoi il est inévitable pour un homme d’éprouver sa petitesse que porte une honte plus originelle que la peur et plus vivifiante que tout accès insidieux de grandeur jouée.
Qui est cet homme ? Ou plutôt : qu’est cet homme ?
Et comme en un ballet réglé par un aveugle pas encore né, un enfant court un homme s’avance et manifeste sa participation en activant son œil électronique et d’autres passants sans mémoire exécutent leurs pas dans l’indifférence au temps et à eux-mêmes.
Et, suivant la ligne droite d’un destin encore innommé, toujours de dos, il en est un qui, à la fois fidèle à lui-même et conscient de l’immensité qui lui fait face, investi de sa mission et palpant le souffle neigeux qui s’exhale devant lui, s’avance et s’agenouille, s’avance et se recueille, s’avance et prend acte de ce qui le lie et le sépare de ce sourd fleuve peuplé d’histoire et de regrets.
S’il accomplit sa mission, déposer son offrande, une empreinte minuscule dans un endroit que fréquente le dieu art, mais en la cachant comme s’il jouait avec lui un jeu jaillissant d’une enfance perdue, il ne le fait pas en la glissant sous le cadre de l’oeuvre. C’est plutôt quelque pas avant de parvenir à elle qu’il s’arrête.
Et là, en cet endroit que rien ne prédestine à devenir le lieu de l’accomplissement d’un rituel, avec la discrétion habituelle qui prévaut à ce geste, c’est sous une plaque d’acier, une plaque recouvrant quelque canalisation vitale courant sous le sol de cette basilique de verre et d’acier, qu’il glisse et colle l’empreinte de la taille exacte de la dernière phalange d’un de ses doigts.
Car c’est là, dans ce temple occasionnel que se met en scène la croyance la plus contemporaine, celle qui a l’art pour dieu en remplacement du dieu qu’on a dit mort. C’est là que l’homme de dos se tient et se connaît pour ce qu’il est, un homme debout qui toujours un instant s’agenouille, car il sait que là est la possibilité, la chance, d’une croyance renouvelée.