LaRevue - Arts, cultures et sociétés


LaRevue, n°83


Éditorial

« Il regarda partout alentour, partout au-dessus de l’espace planait la buée d’un souffle vivant qui créait un écran suffocant, somnolent ; la patience se lassait de se traîner sur cette terre, comme si tout ce qui vivait se trouvait à mi-chemin entre le temps et son propre mouvement : le début était oublié de tous, la fin était inconnue, ne restait qu’un mouvement dans tous les sens. »
Andreï Platonov Le chantier (1930)

Pour son numéro 83,TK-21 LaRevue poursuit ses analyses relatives à la place et à la fonction des images aujourd’hui et se lance dans l’exploration de nouveaux territoires.

Pour rendre hommage à Gordon Matta-Clark dont le musée du Jeu de Paume présente une exposition, intitulée Gordon Matta-Clark anarchitecte, Jean-Louis Poitevin publie un texte qu’il a écrit pour le catalogue de l’exposition Dimensions Variables qui a eu lieu au Pavillon de l’Arsenal en 2015. La question des murs est mise en relation avec l’œuvre de cet artiste qui en intervenant directement sur des maisons, ces demeures des hommes, pose non tant la question de la relation art musée que celle de la mutation de la question de l’habiter humain.

Avec La photographie, au-delà de l’utopie, un texte publié il y a peu dans le numéro 87 de La Lettre de l’Académie des Beaux-Arts, Bernard Perrine, outre proposer une approche singulière du mythe de la caverne de Platon, tente de mettre en relation la puissance d’évocation des images et l’utopie. Il peut ainsi écrire que « Si la photographie a pu être l’objet de quelques utopies, non seulement elle en a suscité mais ses bases scientifiques et ses développements technologiques ont permis d’aller au-delà de l’inimaginable et de faire reculer les limites de la science. »

Fidèle à TK-21, Jae Wook Lee nous parle aujourd’hui d’un important artiste coréen qui représenta son pays lors de la dernière biennale de Venise, l’an passé, un artiste qui questionne avec vigueur les soi-disant évidences qui constituent la base de notre croyance en un progrès de plus en plus mortifère. « Lee Wan examines how global financial capitalism has shaped people’s lives in Asian countries. “Capitalocene” is a geological term used by recent theorists, describing that financial capitalism has the dominant power on Earth. » C’est de découvrir cet artiste encore méconnu en France que vous propose ce numéro 83 de TK-21 LaRevue.

Lors de récentes pérégrinations européennes, TK-21 LaRevue a découvert le travail de Mária Čorejová à la Remont Gallery de Belgrade. Outre un lieu ouvert depuis près de vingt ans et toujours expérimental et engagé, c’est l’œuvre d’une artiste slovaque qu’il a été possible de voir. Accompagné de deux textes de critiques d’art slovaques, Ľuboš Lehocký et Diana Majdáková, les dessins noir et blanc de Mária Čorejová révèlent ici leur puissance d’évocation, tant chacun d’entre eux est à la fois un concentré de questions essentielles et une présentation décalée de nos angoisses. « She is examining the issues related to the clashes of ideologies, the presence of religious or gender stereotypes, elements of absurdity of our social order » note Diana Majdáková dans son texte.

Photographe chercheur, Ibn El Farouk expose à La Fondation Hassan II pour les Marocains Résidant à l’Etranger à Rabat, à partir du 5 juillet. Mohamed Rachdi dans le beau texte qu’il lui consacre remarque : « le moins qu’on puisse dire, c’est que sa photographie n’est pas narrative, mais exploratrice. Fondée sur l’expérimentation, elle explore son propre mode de fonctionnement dans une autoréférentialité qui ne se détourne du récit et de l’image, que pour mieux interroger en la matière même de la photographie, le potentiel expressif du médium et non ses possibilités mimétiques ou anecdotiques. »

Paris offre souvent des expositions improbables dans des lieux improbables. Sous l’impulsion de Callisto Mc Nulty, à la Wendy Galerie, on peut ou a pu voir des œuvres « bibelots » de jeunes artistes et d’autres moins jeunes à découvrir. Dans ce lieu énigmatique on se souviendra, en regardant les œuvres, de ce quatrain extrait du Sonnet en YX de Stéphane Mallarmé « Sur les crédences du salon vide : nul ptyx / aboli bibelot d’inanité sonore, / (Car le Maître est allé puiser des pleurs au styx / Avec ce seul objet dont le Néant s’honore.) »

À la galerie Hors-champs on peut voir à partir du 5 juillet et pour tout l’été une exposition, intitulée Les âmes errantes, présentant les travaux de Dan Barichasse, Sandrine Elberg et Hannibal Volkoff. Elle n’a pas pour but d’illustrer ce thème, elle se veut plutôt comme un exercice sensoriel d’images qui se traversent les unes les autres autant qu’elles sont traversées en elles-mêmes, dans leur matière propre, témoignant d’un passage, d’une apparition intérieure comme celle d’un spectre.

Pour fêter la sortie du livre d’artiste Maldoror, composé de 36 Photographies d’Elizabeth Prouvost et publié par les éditions ARH-CJH, TK-21 LaRevue vous offre en avant-première quelques-unes de ces images enivrantes accompagnées d’extraits de ce texte incisif dont les morsures ne cessent de nous brûler plus d’un siècle après sa rédaction.

En avance sur l’actualité de septembre, TK-21 LaRevue publie un ensemble de textes accompagnant les nouvelles œuvres de Nicole Sottiaux dont le catalogue est aussi téléchargeable dans ce numéro. Dans cet ensemble de textes pour la plupart inédits on retrouve des auteurs que nous suivons depuis longtemps, comme Werner Lambersy, mais aussi un poème de Patricia Castex Menier et des textes de Patrice de la Perrière et Colin Bloxham. L’ensemble, qui sera présenté au Cloître des Billettes du 19 septembre au 2 octobre, s’articule autour du Pénitent, un bronze monumental du sculpteur Abram. C’est de la rencontre avec cette œuvre qu’est née pour Nicole Sottiaux, l’idée de l’Objetrium.

SUN Wei-Shiuan expose à partir du 4 juillet à la galerie Impression (17, rue Meslay) avec CHANG Chung-Liang. Avec Lettres d’amour à moi-même et Destin, test-tan, deux séries d’images, elle tend à la fois à réfléchir sur son identité culturelle, elle qui a vécu en France pendant une décennie avant de retourner à Taïwan, et à interroger à travers le symbole de l’œuf des notions comme celles de « renaissance », d’« espoir », de « prospérité » et de « porte-bonheur », et cela tant dans la civilisation occidentale qu’orientale. Elle sera aussi présente dans la revue Corridor Eléphant dans le cadre de notre partenariat et de nos échanges d’artistes.

Photografrika Project, d’Adrien Tache, est un ensemble d’images réalisées entre 2013 et 2016, en Mauritanie, au Sénégal, en Guinée-Conakry, au Mali, au Burkina-Faso, à Lagos, et en Côte-d’Ivoire. C’est le photographe que nous a proposé de publier ce mois-ci la revue Corridor Éléphant, et que nous accueillons avec joie, tant cette aventure humaine forte se traduit par des images aux couleurs saisissantes.

Nous publions le second moment de l’entretien que nous accordé Luc Bachelot, archéologue, spécialiste de la Mésopotamie. C’est cette fois le cœur de sa théorie de l’image qu’il nous présente d’une manière à la fois concise et éclairée par de nombreuses références, celles sans lesquelles en effet penser l’image aujourd’hui ne serait pas possible.

Installé dans TK-21 LaRevue, Dominique Moulon nous permet de découvrir deux manifestations comme si nous y étions allés, qui ont eu lieu il y a quelque temps. La première s’intitulait Caracas reset et eut lieu à La Colonie. On put y découvrir une œuvre de Yucef Merhi qui vit et travaille à Miami et intitulée Maximum Security, qui a déjà fait couler beaucoup d’encre. Elle s’articule en effet autour de la correspondance que cet artiste vénézuélien a piratée, celle qui se trouvait dans la boîte mail d’Hugo Chavez en 1998. L’autre, intitulée Codez et qui eut lieu au Maif Social Club, nous promettait d’aller « à la découverte de l’inconnu ». Il y a, au tout début du catalogue de l’événement, une citation d’Arthur C. Clarke : « Toute technologie suffisamment développée se confond avec la magie ». Le reste est à découvrir ici !

« Il est un continent où nous macérons, où l’on s’y trempe jusqu’à une ultime décoction. Ce continent se nomme numérique », écrit au début de son article Laëtitia Bischoff. Dans son style toujours aussi percutant, la poétesse qu’elle est par ailleurs, évoque avec humour le travail de Valérie Legembre, photographe-plasticienne qui travaillait à ST Microelectronics et qui, entre autres choses, a entrepris de nous livrer quelques extraits de sa conversation avec une puce électronique. Deux autres artistes extraordinaires, Adrien M et Claire B, sont aussi à découvrir par une courte vidéo. Une actrice tourbillonne et les points se transforment en jets tournoyants de lumière. Le réel et le virtuel sont, ici, en perpétuelle conversation.

Les voyages de TK-21 LaRevue ne se font pas qu’à l’étranger, mais aussi en France. Christiane Olivier présente ici quelques images extraites d’un ensemble intitulé La vie à vau l’eau, des photographies qui parviennent à rendre compte du drame des inondations dans le Var de 2010 sans rien montrer du drame direct, mais en mobilisant notre imagination en mettant en scène des effets plastiques puissants au point que l’on parvient à imaginer que c’est l’eau même qui est l’auteur de ces images.

Ce numéro 83 de TK-21 LaRevue se clôt sur « Les dédales de la cité », le quatrième chapitre de l’œuvre en cours d’Alain Coelho intitulée Images d’aurore. On se retrouve une fois de plus plongé dans la Tunis des années cinquante. « Le cuir chaud, ou le cuivre, ou le bois calciné, ou la graisse brûlée dans une ruelle m’attirait jusqu’à l’écœurement, et je reconnaissais dans cet écœurement ma fascinante entrée toujours remise dans l’inconnu et les corps, comme en celle du dédale de la Médina. »

En voyage pendant l’été, les membres de TK-21 LaRevue se proposent de vous retrouver à la fin de l’été pour son numéro 84-85 qui sera consacré au colloque présenté dans le numéro précédent intitulé Corps encore, qui a eu lieu à Roubaix au début du mois de juin sous la direction de Pascale Weber et Eun Young Lee Park.


Photo de couverture : Adrien Tache, photografrika_27

De nombreux problèmes subsistent encore pour des utilisateurs de Safari. Le mal semblant être profondément ancré chez Apple, nous vous conseillons de lire TK-21 sur Firefox ou Opéra par exemple.
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