LaRevue - Arts, cultures et sociétés


LaRevue
n°120


Éditorial

Au cas où cela vous ferait penser à quelque chose de récent, d’actuel, qui advient aujourd’hui et reviendra demain… !

Pseudomenos

Le pouvoir magnétique qu’exercent les idéologies sur les hommes au moment même où elles apparaissent déjà cousues de fil blanc s’explique, au-delà de la psychologie, par le déclin objectivement déterminé de l’évidence logique en tant que telle. On est arrivé au point où le mensonge sonne comme la vérité, la vérité comme le mensonge. Chaque déclaration, chaque information, chaque idée est préformée par les centres de l’industrie culturelle. Tout ce qui ne porte pas la trace familière d’une telle préformation n’a a priori aucune crédibilité, d’autant que les institutions de l’opinion publique accompagnent tout ce qu’elles diffusent de mille documents fournissant des preuves irréfutables et dont chacun peut disposer à volonté. La vérité qui tenterait de s’opposer à de telles pratiques ne réussit qu’à paraître invraisemblable et elle est, de plus, trop pauvre pour s’imposer à la concurrence avec cet appareil de diffusion hautement concentré.

Theodor W. ADORNO
Minima Moralia, Réflexions sur la vie mutilée
P.B.Payot

Pensée

Nous accueillons un texte de François Curlet présentant avec l’ironie mordante qui est la sienne son propre projet, porté par l’IAC de Villeurbanne et intitulé Cheval Vapeur. Comment ne pas comprendre que le remplacement de l’essence par du picotin dans une station service met en scène avec des années d’avance un avenir qui, devenu réalité, ne sera ni joyeux ni heureux ? Car c’est plus qu’une critique sociale que nous propose Curlet, c’est la « description » de l’absurdité de notre condition humaine rapportée à celle de notre aveuglement sur les choix à faire pour que l’humanité continue d’exister, en riant !

Bernard Umbrecht, qui réalise et publie le SauteRhin, clôt ses réflexions sur Joseph Beuys en montrant comment l’idée de sculpture sociale défendue par l’artiste allemand trouve quelques décennies plus tard des forces nouvelles portées au jour par Bernard Stiegler. L’artiste allemand cherchant à surmonter la division entre artistes et non-artistes, son projet ne pouvait qu’entrer en résonance, voire inspirer celui de Bernard Stiegler. Ce dernier, pensant dans la droite ligne de Gilbert Simondon, définissait la sculpture sociale comme processus de « trans-formation » menant vers l’individuation psychique et collective, une individuation qui ne peut évacuer les questions esthétiques. Nous sommes ici au cœur des enjeux essentiels qui se posent à notre temps.

Nous poursuivons la publication d’extraits du livre de Pedro Alzuru, L’esthétique et ses bords. Avec ce chapitre intitulé Le défi de la communication, nous sommes replongés dans la version très actuelle du « tout est politique » qui faisait florès dans les années soixante. À ceci près que ce qui était une formule engageant une réflexion est devenue une formule déterminant la totalité de notre mode vie. « Le problème aujourd’hui, sujet de discussion depuis quelques décennies, n’est pas tant que les médias font de la politique mais que la politique ne se comprend plus sans les médias, sans cette communication basée sur l’atteinte du plus large public par tout moyen, sans scrupules, d’acquérir à tout prix des produits (savons, prestige, modes de vie, systèmes politiques). »

Jaewook Lee, artiste et théoricien coréen vivant et enseignant aux USA, expose actuellement à Séoul avec Kyoungmee Byun X Lesley Harris, Che Onejoon, YoungEun Ki. Cette exposition met en scène et en action une question qui ainsi posée dessine plus qu’une urgence, une nécessité « vitale » : « What does it mean to look at history from the current perspective ? The present retroactively creates its necessity from the past because the past belongs to the present’s constant reconstitution and reinterpretation in search of meanings. Our search for meaning not only creates new ways to see the world but also retroactively designates its conditions. Contemporary art creates new ways to look at the past. »

Alain Monvoisin exposait il y a peu à la Galerie Simon Madeleine rue des Gravilliers à Paris, un ensemble d’œuvres, Migrations, témoignant de l’ampleur de son travail actuel, une réflexion picturale portant sur les glissements de sens à l’œuvre dans la relation multipolaire que nous entretenons avec les images, toutes les images, depuis l’invention des images techniques. Et il montre ainsi combien la peinture, car c’est de peinture qu’il s’agit, a plus que quelque chose à dire aujourd’hui, quelque chose à « montrer » qui parvienne à damer le pion aux images des écrans.

« Sous le dais du soleil et des arbres, l’esprit occupé par ce qui s’offre, je donne ma faiblesse au monde qui m’entoure », ainsi commence le premier des cinq petits récits de Joël Roussiez. Comment ne pas entendre dans cette phrase une interrogation indiquant l’une des manières qu’a l’esprit de plonger en lui-même en quête de ce mystère qui le constitue, la pensée ?


Images et actions

Le 15 juin Fred Forest organisait une vente sans enchère sur un NFT. Elle sera proposé au prix de soixante-neuf millions trois cent mille dollars +1 € (l’œuvre numérique la plus chère au monde à ce jour) auquel l’acheteur devra ajouter un dollar supplémentaire pour pouvoir la posséder. Fred Forest qui dénonce depuis longtemps le marché de l’art prétend s’en passer… nous lui souhaitons bonne chance !

Dans le cadre de notre collaboration régulière avec la revue Corridor Elephant, nous publions un ensemble d’images puissantes centrées sur l’énigme de l’existence de Céline Croze. C’est sa manière de nous convier à un voyage « sur cette ligne ultime où s’affrontent la folie, la vie, la mort. »

Pascal Hausherr nous permet de découvrir le travail de Robert Huot à partir de photos de sa femme dans lesquelles, après le décès de celle-ci, il s’est « inclus » sous la figure de l’homme à la faux. « Je ne vois dans ces photographies aucune forme de symbolisme, nulle allégorie, et c’est justement par cet affrontement sans détour que se déploie toute l’humanité en ce qu’elle désire et en ce qu’elle souffre », note en particulier l’auteur.

Laetitia Bischoff analyse avec sa précision et sa justesse habituelles une photographie de 1992 d’Andrès Serrano. « Il est mort et beau, avisé de son sort par une couture bleue à la gorge. » Et nous sommes conviés à faire face à « ce cadavre qui tient en lui plusieurs passés ».

La Galerie Hors-Champs a repris ses activités et présente durant tout l’été une exposition célébrant ses dix ans d’existence, une performance en soi en cette époque pour le moins trouble et troublée. Nous tenons à nous associer à cet anniversaire emblématique et à la vitalité de cet espace défendant avec détermination création et réflexion, et honorer les 14 artistes qui y participent.

Avec Lost in the supermarket # 17, Aldo Caredda poursuit le dépôt d’éléments provenant à la fois de sa mémoire intime et extime. Ce qu’il dépose dans les recoins des musées, une empreinte toujours identique, provient du même doigt. Elle est donc unique et différente car la peinture qui y est déposée auparavant prend inévitablement une forme circonstancielle.

 


Photo de couverture :

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