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à Olivier S
Poussière
Haibun
,
Un collectif de haijin se réunit régulièrement pour améliorer leurs textes. Ils traquent chaque mot, chaque césure, chaque virgule pour fixer image et émotion et immortaliser l’instant.
A quelques kilomètres, un architecte tente lui aussi, entre ombres et lumière, de retenir le temps. Ses outils sont la terre, la paille et l’eau.
Avec des mots ou de la terre, le même désir d’arrêter le temps.
Louxor - brique sur brique
une voûte s’élève vers le ciel
terre, paille et eau
Dans le cercle de haidjin
une âme rejoint les disparus.
La passion de l’instant nous relie.
Le retenir encore avant qu’il disparaisse.
Vertige du temps.
Les années passent.
Le haïku reste.
cheveux blanchis
à chaque coin du globe
un haïku retient le temps
Dans les prés, les écoles ou les plages, des nuées d’enfants
apprennent à regarder fleurs, vaches, ânes ou oiseaux.
Ils grandissent, éveillés à la beauté fugace de l’instant.
Leurs aînés cultivent la justesse d’un mot.
Chipotages pour une virgule, un tiret ou un point.
Ce guillemet
devons-nous le placer
ici ou là ?
Fâcheries parfois, et rires aussi.
Tête penchée, à la même table.
Un senryu rompt le silence.
Sublimer quelques lignes . Gommer.
sur le petit carnet
des flèches au crayon noir
L1 en L3
Un Zorro, surgi du néant, bondit et suggère le mot qui sauve ;
Les débutants comptent
sur leurs doigts.
5,7,5
Certains rajoutent un AH !
pour retomber sur leurs pieds.
Sur l’autre rive, vallée des reines,
l’architecte solitaire surveille son chantier.
Briques empilées au soleil.
Il fait si chaud. Travailler la nuit.
Nouvelle bataille contre le temps.
La température monte encore.
Chaque jour, porter les seaux d’eau, remuer la terre, la paille et l’eau.
Bien malaxer, lisser, polir.
Remplir des moules.
Gâteaux cuits. L’œil de Râ.
Le chantier continu
l’atmosphère plus fraîche
au moins, on respire
Surveiller la course du soleil dans le ciel.
A-t-on assez de briques ?
Construire l’ombre, se protéger de la lumière.
Aux quatre coins du monde, ils écrivent, ils raturent.
Ils jettent les premiers mots sans garder le premier jet.
Internet lance des ponts d’une âme à l’autre.
On savoure le haïku de l’ami disparu
On sourit, on aime, on adore
On note des trucs dans la foulée.
L’inspiration. contagieuse.
Un ami s’en va. Un autre nous rejoint.
Les autres ne sont jamais bien loin.
L’émotion, les rires, les pleurs.
Les plus hardis passent en mp
.
Les haïkus fleurissent et meurent.
Semés, récoltés.
Sous le soleil, l’homme construit encore.
Il ne parle plus à personne, se terre dans son chantier.
Les murs se dressent, hauts.
Quelques jarres viennent ponctuer la rudesse des murs.
Là où il n’y avait qu’un puits et de la terre,
se dressent des coupoles.
Je me souviens des chiens errants quand je me rendais au temple.
les dynasties se succèdent
ornant les tombeaux
les pillant la nuit tombée
Les enfants ont grandi. L’architecte invente des voutes défiant les dieux .
Dans ma main
ne restent que quelques mots et des poignées de sable.
Je suis prête
à redevenir poussière.
- Photographie d’Olivier Sednaoui, Paille et terre
Briques de terre crue séchant au soleil
Voir en ligne : EGYPTE, l’architecte de Louxor
Un haibun est un texte en prose intégrant un ou plusieurs haïkus.
La haidjin Catherine Belkhodja, a fondé avec Georges Friedenkraft le premier grand concours MARCO POLO de haikus francophones dans MARCO POLO magazine et HAIKUKAT. Elle a organisé les premiers évènements sur le haiku à la Maison de la Culture du Japon à Paris et a lancé le premier atelier interactif sur internet de haiku dans Psychologies magazine. Membre du bureau de l’AFH, (Association française de haiku) et du comité de rédaction de Gong pendant plusieurs années, elle est directrice artistique de la collection kaiseki chez KAREDAS, spécialisée dans le haibun et haiku .
Elle anime des colloques ou conférences, organise des lectures ou spectacles à l’Université, dans des galeries ou Musées ou Maisons de la culture en France, Belgique, Canada, Afrique ou au Japon. Elle anime ou participe à des ateliers d’écriture collectifs, publie des recueils collectifs ou des livres d’artistes en microédition.
Le texte POUSSIERE évoque ces ateliers d’écriture collectifs qui, comme l’architecte au bord du Nil, défient le temps.
Olivier Sednaoui, architecte vivant à Louxor, est spécialisé en architecture de terre et exerce dans de nombreux pays.
Un documentaire de Jocelyne Saab , diffusé sur Arte lui a été consacré.