lundi 29 juillet 2024

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Corridor éléphant

La Ville Imaginaire

Denis Bergamelli

, Claude Guillaumet et Denis Bergamelli

Dans sa quête de domination, la horde humaine, sans doute hantée par la peur viscérale inscrite définitivement dans son patrimoine génétique, s’est emparée de tous les possibles, et cet exercice permanent lui a conféré ce cerveau disproportionné que son corps porte, avec les fatigues que l’on sait.

Lorsque j’ai réalisé cette mini-série en 2014, elle se voulait le témoignage lapidaire d’un projet d’urbanisme avorté lors de l’explosion de la bulle immobilière espagnole en 2008. Je l’avais rangée dans mes cartons, et elle y est restée jusqu’à ce mois de mars 2024. Dix ans plus tard donc, j’étais face à un propos qui méritait à mon sens qu’on s’y attarde. On y croisait la nature humaine, dans sa quête de profit, et la nature terrestre, qui tant bien que mal finit toujours par reprendre le dessus.

L’infrastructure routière avait bien vu le jour avec ses rues, ses giratoires, sa signalétique... On y trouvait quelques squelettes de bâtiments et même des bâtiments achevés. Cette ville à la campagne qui devait compter pas moins de 30 000 habitants était en réalité une ville fantôme avec à peine 3 000 logements occupés. Elle possédait même sa gare TGV à proximité, qui la positionnait à 35 minutes de Madrid.

J’ai tout de suite imaginé un travail à quatre mains pour présenter cette mini-série, afin qu’un propos vienne appuyer les images. Quand j’ai rencontré Claude, je sortais de l’école d’architecture de Toulouse. Il était de vingt-quatre ans mon ainé. Nous avons travaillé ensemble durant plusieurs années, avant que je ne change radicalement de voie pour m’orienter vers l’ingénierie, et plus particulièrement la surveillance des ouvrages d’art. Son regard sur le monde et la nature humaine, sa vision de la construction et ce besoin de loger de plus en plus de monde m’a toujours intéressé. Qui mieux que lui, architecte urbaniste, pourrait en effet commenter cette mini-série.
La mise en forme de cette histoire et les multiples échanges avec Claude ont forcément débouché sur une évidence : il faut retourner sur place, voir comment la vie a pu se développer, rencontrer les gens, qui sont-ils, quelle classe sociale vit dans ces immeubles, où travaillent-ils, etc.
Départ le vendredi 3 mai 2024 à 06 h 50.

Mais rien ne peut rendre compte de l’ampleur potentielle des délires humains, espèce terrestre obstinée à la fois à détruire la planète qui l’a créée et à la fuir dans les hypothétiques ailleurs de l’espace et du temps.
En séparant la lumière de l’ombre, à l’instar des dessinateurs préhistoriques, le photographe, en scrutant les limites de chacune d’elles, définit le trait, qui, constitué d’une infinité de points ténus, manifeste une force physique, Il a donc vocation à déchiffrer les expressions hiéroglyphiques des réalités, instantanés saisis dans le déroulement des espaces-temps.

Ces lectures, dépourvues de moyens définissant des significations exhaustives, laissent une empreinte objective parfois capable de jalonner les incommensurables variations des créations de l’esprit humain, parfois dans leur absurdité révélant les énormes paradoxes résultant des forces en présence, à toutes échelles.

Ce sont les témoignages de ces phénomènes délirants qui peuvent être de précieux indicateurs des dérives de l’esprit humain et constituer les prémonitions de catastrophes à survenir.

Aussi, est-il sans doute essentiel de mettre en présence le monde du vivant, végétal, des insectes et des animaux, de l’infiniment petit et grand, avec les concrétions humaines, pour tenter de cerner luttes, antagonismes, destructions et aspects mortifères de ces conflits, dont la perception ne peut être que fragmentaire.

La vision archéologique de la présence humaine peut fournir, aujourd’hui, les signes d’érosion et d’effacement prévisible des marques spatiales laissées par les hommes et la réappropriation par la vie de ces cicatrices.
Devant l’émerveillement de la suprématie de la vie, la béatitude s’impose et l’appareil ouvre son objectif, puis le ferme, et se tait.

L’Approche

Le détail est cette infime partie d’un tout qui, une fois vue, peut changer le sens de l’œuvre. Le détail c’est, comme son étymologie l’indique, une « coupure ». C’est aussi et surtout avec Denis Bergamelli une nouvelle histoire. Subtil, discret ou parfois évident, le détail scande la poésie du visible. Il est chant de la marge et des recoins, du ténu et du fragile. Le détail est, une fois surpris, irréversible, et bouleverse tout avec son apparition soudaine. Il n’est pas fait pour être pris dès le premier coup d’œil. Le détail est aussi, et peut être avant tout, une question de point de vue. Sa révélation peut le faire considérer comme une œuvre dans l’œuvre, une œuvre à part entière.

Le détail a une force exceptionnelle. Inversement proportionnel à sa portée, il prend le risque de nous échapper. Le détail délimite le visible. Il le circonscrit. C’est un indicateur de notre capacité à voir, une invitation à scruter, à pénétrer dans les images et à entrer dans de nouvelles dimensions.

Voir en ligne : www.berga-photo.com