dimanche 28 avril 2019

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Hommage à James Ensor par Alexander Kluge

, Alexander Kluge et Jean-Louis Poitevin

Alexander Kluge met généreusement à notre disposition certains de ses films ou entretiens que nous sommes autorisés à mettre ici en ligne. Nous commençons cette présentation avec un film qu’il a réalisé pour l’exposition Siècles Noirs : James Ensor et Alexander Kluge qui a eu lieu à la Fondation Van Gogh d’Arles du 16 novembre 2018 au 10 février 2019 et dont nous avons rendu compte au cours un entretien parut dans le numéro 87.

Hommage à James_Ensor par Alexander Kluge from BERNARD Hervé (rvb) on Vimeo.

Méthode
L’oeuvre écrite d’Alexander Kluge est en cours de traduction et outre les deux premiers volumes de Chronique de sentiments, parus chez P.O.L., d’autres textes existent en français. Par contre, ses films ne sont guère accessibles pour le public français. Nous travaillons à remédier un peu à cette carence, car outre les longs métrages en grand nombre, il réalise des films courts, une à trois minutes, un format idéal pour développer des idées avec vivacité.
Souvent drôles, ces films sont la plupart du temps composés de deux à trois écrans projetant des images apparemment sans lien entre elles et dont la fonction est, en effet, de mettre en relation des mondes hétérogènes. À la fois rébus et énigmes, ces associations d’images excitent l’esprit et l’obligent à tendre son attention éveillée par cette multi-exposition.

Hommage à James Ensor 2018
© Alexander Kluge

Le film que nous présentons aujourd’hui, quoiqu’un peu plus long, 8 minutes environ, est une sorte de concentré de la « méthode » d’Alexander Kluge. Un sujet donné par un titre et l’apparition d’images sur un, deux ou trois écrans, mosaïque intentionnelle d’effets savamment orchestrés, tel est le dispositif général de ces films courts, mais il est aussi utilisé dans d’autres films par ailleurs.

Hommage à James Ensor 2018
© Alexander Kluge

Méthode et dispositif sont assez semblables à ceux qui gouvernent la production des textes de la Chronique des sentiments, dans la mesure où il s’agit en effet d’associer, de rapprocher, de provoquer des étincelles-images-pensées en frottant entre eux des matériaux divers et de permettre ainsi à la soit-disant réalité de révéler et d’amplifier ses possibles d’éléments nouveaux que la puissante trame de l’imaginaire vient transformer sous nos yeux en rêveries paradoxales et en vérités irréelles mais justes.

Secret
Ici, avec cet hommage à James Ensor, Alexander Kluge convoque des personnages à la fois imaginaires comme les diables Dzitts et Hihanox conduisant le christ aux enfers, Pilate dont il raconte l’épisode de la mort, un moment peu ou pas connu, et enfin une histoire incroyable racontée par Peter Schäfer professeur à l’université de Princeton.

Hommage à James Ensor 2018
© Alexander Kluge

Alors, d’images d’allumettes mettant le feu à nos certitudes à celle de la tête décapitée de Pilate, en passant par les gros plans sur des diables inévitablement cornus dessinés par James Ensor - qui s’y connaissait en diables et en question à poser au maître du monde qui s’était présenté sous le nom de fils de dieu -, Alexander Kluge vient débouter la plus évidente de nos « certitudes ».
En fait, il ne s’agit en rien d’une « certitude » mais bien de l’acceptation culturelle d’une vérité qui est tout sauf factuelle et qui pourtant est devenue un fait partagé chaque jour par des millions de personnes à travers le monde, celui d’accepter et de reconnaître pour « vraie » la transmutation de la chair et du sang du christ en pain et vin.

Hommage à James Ensor 2018
© Alexander Kluge

Mais là n’est pas la véritable question dans ce film. Il s’agit plutôt de l’unique mention dans le Talmud de Babylone de l’objection que les juifs firent, une seule et unique fois - mais quelle fois ! -, à cette foi nouvelle qui supposait ou plutôt impliquait de manger la chair d’un homme qui de plus prétendait être dieu !
Quelle « impossibilité » à la fois culturelle, éthique et religieuse se tient pour les juifs dans cette métamorphose qui est le cœur même de la fois chrétienne ?
Pour le savoir il vous faudra regarder ce petit film qui égaiera votre journée et ensemencera vos pensées de cette poudre d’imaginaire dont nous manquons si cruellement en ces temps de post-vérité brûlant entre les tours de Notre-Dame !

UNIVERS PLURIELS D’ALEXANDER KLUGE
DU VENDREDI 14 JUIN (19 H) AU VENDREDI 21 JUIN (14 H) 2019
colloque de 7 jours

DIRECTION :

Wolfgang ASHOLT, Jean-Pierre MOREL, Vincent PAUVAL

Avec la participation d’Alexander KLUGE

ARGUMENT :

Juriste de profession, Alexander Kluge, né en 1932, commence sa trajectoire d’écrivain au début des années 1960, puis se consacre au cinéma, après un stage chez Fritz Lang et sous l’influence de la Nouvelle Vague. En 1966, Lion d’argent à Venise pour Anita G. et, en 1968, Lion d’or pour Les Artistes sous le chapiteau : perplexes. À ses activités d’écrivain et de cinéaste, il ajoute ensuite celles de philosophe proche de l’École de Francfort — Espace public et expérience (1972), Histoire et entêtement (1981), écrits avec le sociologue Oskar Negt — et de producteur de télévision, à partir de la fin des années 1980, avec sa société DCTP à Düsseldorf et ses émissions sur les chaînes allemandes RTL et SAT 1. En 2000, paraissent les deux premiers volumes de sa monumentale Chronique des sentiments (plus de 5000 pages aujourd’hui), qui regroupe quarante années de production littéraire. Pour l’ensemble de celle-ci, il reçoit en 2003 le prix Büchner et le prix Adorno en 2009.

https://cerisy-colloques.fr/alexanderkluge2019/