mercredi 27 juin 2012

Accueil > Les rubriques > Appareil > "Enveloppes"

Art public involontaire

"Enveloppes"

Mathias Dubos

, Jean-Louis Poitevin et Mathias Dubos

En qualifiant les réalisations urbaines temporaires qu’il photographie de « Christo involontaires », Mathias Dubos touche un point sensible : la manière dont se formalise en nous le visible à l’intersection du regard, de l’émotion et de la connaissance. Il y adjoint une dimension importante, celle de la déambulation, pratique urbaine, élevée au rang de mythe par Edgar Poe et Charles Baudelaire, associée à la modernité et qui trouve son apogée dans les dérives pratiquées par les situationnistes.

Art public involontaire

En qualifiant les réalisations urbaines temporaires qu’il photographie de « Christo involontaires », Mathias Dubos touche un point sensible : la manière dont se formalise en nous le visible à l’intersection du regard, de l’émotion et de la connaissance. Il y adjoint une dimension importante, celle de la déambulation, pratique urbaine, élevée au rang de mythe par Edgar Poe et Charles Baudelaire, associée à la modernité et qui trouve son apogée dans les dérives pratiquées par les situationnistes.

Assemblée nationale

Mais au-delà de ces modèles implicites, la déambulation associée à la rêverie est aujourd’hui encore une activité remarquable puisqu’elle nous extrait du flux des images subies que les écrans projettent vers nous, pour nous rendre au flux des images que nous construisons en marchant, en rêvant, en parlant.

Bibliothèque nationale

En ce sens, la tentation d’associer un élément du paysage avec un élément déjà connu relève du fonctionnement psychique le plus inévitable. Nous ne pourrions nous retrouver dans le monde si nous ne faisions en permanence ce travail mental d’association de comparaison et de mesure. Sans cela, le monde nous resterait étranger

Palais Royal

Mathias Dubos a repéré des éléments qui, ici ou là, font partie du paysage urbain temporaire. S’il y a bien sûr l’extraction qu’opèrent le cadrage et la prise de vue, il y a aussi le rapprochement que rend possible l’image une fois développée et montrée. Ainsi devenue « comme une œuvre », la photographie nous fait pénétrer dans un nouveau monde en ceci qu’elle nous contraint à un effort de réinsertion dans un contexte. Ce nouveau contexte dépend, lui, de nos connaissances, ou si l’on veut d’un mixte entre connaissances et imagination, entre connaissances et puissance d’association.

Rue Monsieur

Le travail de Mathias Dubos nous permet de nous confronter à cette tentation irrésistible qui consiste à associer ce que nous ne connaissons pas à des choses que nous connaissons déjà, au moins un peu afin de les rendre acceptables, afin de permettre à notre cerveau si frileux de les accepter et de pouvoir, donc, les regarder. Car il faut bien y venir, nous ne voyons pas, rien, jamais. Nous ne faisons que reconnaître ce que nous connaissons déjà. Tout élément nouveau dans le paysage est une entaille dans la membrane si fine qui enveloppe notre vision du monde et nous enferme dans nos certitudes. Le mieux est de NE PAS le voir, de NE PAS le remarquer, car alors il faudrait mettre en marche le processus épuisant, de recalcul général de notre position dans le monde à cause de cette modification même légère dans le panorama de nos certitudes.

Comédie Française

Mathias Dubos a su faire ce travail pour nous, d’extraire du non-vu des éléments à la fois dérangeants et anodins, et de les mettre au plus près de notre œil comme on le fait de tout ce que nous voulons étudier, un tableau au Louvre ou une souris morte dans un laboratoire. C’est à cela que sert la culture, offrir un réservoir d’associations possibles qui permettent de rendre le nouveau plus facilement digérable.

Cour Carrée du Louvre

Ces images de Mathias Dubos disent cependant autre chose encore. Elles nous parlent bien sûr de cette ville dont la forme, comme le dit si brutalement Charles Baudelaire dans son poème Le Cygne, « change plus vite, hélas ! que le cœur d’un mortel ».

Saint Sulpice

Mais ce qu’elles nous disent de particulier, c’est quelque chose qui a à voir avec le rêve. Pas celui dont on nous abreuve chaque jour lorsqu’on nous dit que ceci ou cela, concert, match ou émission culinaire, va nous faire rêver ! Non, il nous parle du rêve qui est comme la dimension seconde de l’existence.

Ecole Militaire

Chacune de ces enveloppes qui recouvrent tout ou partie d’un bâtiment sont, une fois devenues images, des enveloppes magiques qui font disparaître ce qu’elles recouvrent, et le font disparaître de telle manière que l’on peut commencer à douter de la réalité de la pierre qu’elles masquent.

Rue de Babylone

En fait il y a trois sortes d’enveloppes dans les images de Mathias Dubos, celles qui voilent et laissent entrevoir ce qu’elles cachent, celle qui engloutissent ce qu’elles couvrent et celles qui s’exhibent comme des écrans potentiels pour des projections improbables mais que l’on attend, habitués que nous sommes à attendre devant des grands murs blancs à ce que des images viennent s’y montrer. Les photographies de Mathias Dubos procèdent donc d’un mixte singulier qui allie constat et révélation.

Rue Lafayette

En effet, portées par la puissance d’association que permet la connaissance, elles parviennent à soulever un lièvre inattendu. Elles mettent directement en scène le fait que les images sont bien une production de l’esprit. Ici, les bâtiments que l’on croit réels, une fois enveloppés et cachés par ces tentures diverses sont révélés dans leur inconsistance même. Ils ne sont eux-mêmes que des projections, des images, rien que des images, des images devenues pierre, mais rien que des images.

Quai d’Anjou

La puissance des images n’est sans doute pas autre chose que cela, montrer que tout, absolument tout, et pas seulement parce qu’on les photographie sans fin, mais « par essence » pourrait-on dire, que tout est et n’est, pour l’éternité de l’homme, qu’image.

Voir en ligne : www.mathiasdubos.moonfruit.fr