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Ce qui arriva au Comte de ce qu’il pensait
& autres textes
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Ce que pensait le comte
Les loirs du Khorastan
Justice
Ce qui arriva au Comte de ce qu’il pensait (J. Roussiez, G . R. de Montalvo)
Mais la Reine délicate avec le Chevalier Héron n’approuvait pas ce crime et poussait le Chevalier à venger le manant José. « Oui, mon petit chéri, ce serait joli de faire souffrir le Comte. », et le Chevalier trouve qu’elle exagère, cependant faire souffrir un comte peut être tentant. « Tu iras cette nuit au pied de son lit. » Il fut facile d’atteindre le fossé par une porte sur le côté, un garde s’y trouva posté, un homme de la Reine. Qui connaît les Grands connaît leur résidence puisqu’il y fait sa cour. Le Chevalier passa la cour du donjon, la porte n’en est-elle pas ouverte ? Il faudra penser à récompenser le Sénéchal. Une échelle, une fenêtre, bientôt, il passa l’allège, se trouva dans la salle des gardes. Tous discutaient autour du feu ; c’était une froide nuit, on leur comptait le bois… Bientôt à la ruelle du Comte, il trouva Messire de Jonzac. On attacha les mains, les pieds du Comte et maintenant voilà : on mit dessus son drap et sous son dos une cilice de clous. « Holà » avait crié le Comte mais on lui bourra la bouche d’un bouchon de crin… Réaliser des prouesses n’est pas chose facile et pour la Reine qui le sait, le Chevalier n’en est que plus aimé. Mais à l’Auberge des bois, les mouvements sont surveillés. La Reine ne peut exprimer sa reconnaissance et le Chevalier connaît l’attente et le dépit.
Ce que pensait le comte (Sloterdijk)
Une toute jeune araignée qui se précipite, surprise d’être découverte et croyant se sauver dans l’ombre d’un recoin, sans regarder devant se jette sous la main qui l’écrase ; cela arrive, la mort lui vient d’un coup au milieu d’une impulsion, elle n’aura donc pas à souffrir, voilà ce qui console… José de Malansac soutenait ainsi ses propos sur la vie devant l’auditoire de l’auberge, caressant une longue barbe qu’il s’était fait pousser et qui était maintenant suffisamment longue pour qu’il puisse, à la manière des sages anciens, la nouer avec trois lacets de coton, bleu, rouge et vert qui lui servaient aussi à illustrer quelques propos. Tu vois le bleu, c’est le ciel, et le vert, c’est les plantes, et donc la terre ; mais que diras-tu du rouge, que représente-t-il ? C’est la vie, elle ne tient qu’à un fil… Les Comtes de Bodélio lui demandèrent de venir les distraire. Quel privilège, clamait-il au marché de Questembert et, à sa barbe, il ajouta des fleurs. Un jour enfin, ce fut le jour, Pascal le bûcheron vint le chercher à la brume de nuit : fissa, fissa, dit-il, y faut qu’on y alla ! On se dépêcha, les grandes grilles s’ouvrirent : à c’t’heure, c’est pas une heure, grommela le garde… Et jamais on ne le revit. C’est la vie, commentèrent les gens…
On raconte ensuite, l’érudit du village l’avait appris d’un des fils du Comte, qu’au château devant l’énorme cheminée, il dut faire son spectacle et qu’on claqua des mains pour applaudir ses remarques. Et puis quand on en vint à la barbe, le Comte, son père, se tourna vers le bûcheron Pascal qui sortit. On but avec José comme avec un ami : mais tu dis, mon ami, que la vie ne tient qu’à un fil ?... Pascal revint avec une corde. On pendit José pour lui faire sentir la vérité de ce qu’il avançait, on le dépendit, on le rependit, on agit ainsi plusieurs fois… À ce jeu, il mourut assez lentement car souffrir est un privilège, suivant ce qu’en pensait le Comte !
Les loirs du Khorastan (Sima Bina, Hafez, P. Jaunin)
Ce n’est pas d’hier que nous avons cherché à nous étendre vers d’autres peuples ; depuis longtemps nous cherchions à sortir de nous-mêmes où nous ne nous retrouvions plus. On a cherché à être ailleurs, porté par des traditions qui, vues de loin, nous ont paru si profondes et si sensibles que nous nous y laissâmes engloutir. Ainsi, subjugués par leurs charmes comme les enfants, quels drames, quelles joies avons-nous vécus en écoutant leurs chansons ! Quelles émotions dans nos cœurs et quels frissons !
Mais hier on a battu la porte de ma maison. J’ai dû ouvrir à quatre garçons. Trois garçons sont venus battre à la maison, le quatrième s’occupa de détruire tout ce qui permet de produire des sons. Ah, quelle chanson, ils m’ont chantée : d’échanson, tu n’auras plus, le vin est prohibé ainsi que la musique !... Dansons, dansons dans le silence et la nuit de peur qu’on vienne éteindre la lumière ; le noir est propice à nos rêves et l’on peut s’y étendre encore. Écoute, ce sont les dents des loirs qui taillent sous les portes, ce sont leurs pattes qui griffent le plancher, écoute les froissements qui bruissent à tes oreilles : les loirs du Khorastan viennent en visite.
Justice (Cheng Zang, Nietzsche, D. Astor)
Arrivé à un certain âge, Cheng Zang eut le privilège de jouer en occident. Sa musique plut tant à ce public qu’on lui proposa tournée après tournée. Qui résiste à la gloire ? Heureusement qu’il était joueur de flûte, une flûte de roseau est un léger fardeau. Parmi les jeunes qui le guidaient peu pensaient cependant à le soulager de ses effets et, d’hôtel en hôtel, la charge lui pesait… Il quitta la ville de N’Hang Tchou et rentra chez lui. On l’y vint chercher promptement, on avait signé des contrats. « Voyez donc mon âge, voyez, je n’en peux plus ! » Rien à faire, il fallut. Qui résiste à la force ?
Ses forces cependant vinrent à décliner un peu, son jeu brillant changea, on se précipita pour l’entendre : c’est Cheng Zang qui nous étonne encore, chantèrent les amateurs car ils étaient d’avis que la souffrance avait approfondi son jeu. « Cheng Zang n’est convaincu de rien, pour lui le jeu n’est pas son jeu et cependant il joue ». « Cheng Zang doute mais il joue comme ça vient, sans inquiétude » On fit de ses propos énigmatiques un petit livre qu’il lui fallut encore dédicacer ici et là. « Signer pourquoi ? » demandait-il aux gens. Un jour la fatigue fut si grande qu’il ne se releva pas, et personne ne demanda pourquoi. J’ai bien connu Maître Cheng, il joua pour toute mon entreprise plus de deux heures durant… Quelle joie ce fut pour tous !