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Andy Picci
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Andy Picci est un jeune artiste qui dans le même temps s’est emparé d’une question actuelle et prégnante celle de la manière dont se définit une personnalité et l’a posée dans le champ de l’art à partir d’une posture « ironique », puisqu’il l’a fait en prenant l’allure et en l’assumant d’une star, Peter Doherty. Il raconte l’aventure, les surprises, le décalage entre projet et succès et met en perspective ce que nous appelons identité aujourd’hui entre fascination pour les stars et impact des réseaux sociaux sur la vie individuelle.
Andy Picci from TK-21 on Vimeo.
Dans un court texte publié dans Vogue, celui qui après avoir étudié à l’ESAM à Paris a été poursuivre des études à Londres au Central St Martins a écrit en anglais ceci :
“Who are you ? A question that has tormented humanity since time began. A question that’s not asking you what you’re called ; what you do or what you like ; but who you are. This particular question grows ever more absurd in the era of social media. An age where everyone and everything can be fabricated. In the virtual realm, can one ameliorate their reality, straddle the imperceptible line between a romanticized truths and lie ? Can one nd the balance of staging and deceit ? Therein lies the birthplace of my artistic inquisition. The search for identity has become my life’s work, as it has become the basis of our social lives.
Is our reality that which we express publicly on social media, or conversely, is it the image of ourselves in the perception of others that we have curated speci cally to play a certain role ? What are the risks of submitting to a character that society has forced upon us ?
In a time where everyone has their own e-reality TV persona, is it still possible to be simply yourself ? In the space between reality and virtual, between honesty and ideation, a retro-futurist oscillation reaches an entire generation.”
On peut considérer que ce texte est simplement une accroche pour un magazine de mode. Pourtant, les questions posées et les affirmations énoncées résonnent de manière tout à fait singulière comme pourraient le faire des remarques philosophiques. C’est parce qu’elles sont porteuses, en effet, d’une dimension philosophique indéniable.
L’enjeu n’est autre que de chercher à définir ce qui constitue le support « officiel » de notre personne, de notre personnalité, notre moi. Et en s’appuyant sur les présupposés sociaux qui servent à chacun et à la société, de s’assurer l’un de l’autre dans un jeu de miroirs légèrement déformant mais permettant à chacune des parties de se reconnaître dans l’image que l’autre lui renvoie.
Qui suis-je ? Cette question résonne en l’homme depuis longtemps. Elle tonne en lui comme l’accord dissonant entre une voix intérieure et une voix extérieure, rendant l’identification stabilisée du moi difficile en ce qu’elle s’entrelace avec l’identification du je qui est à la fois moi et à la fois tout ce que je suis dans le regard des autres.
Mais on s’est accordé à considérer que cette formation du moi était un processus suffisamment originaire pour être considéré comme étant partagé par tous et par chacun.
L’époque actuelle, celle des appareils, a ouvert la porte à une multiplication d’images et donc aussi d’images de soi qui, par cette multiplication même, se transforment en une multiplicité d’images brouillant un peu plus ce qui relève du moi et ce qui relève du je.
On l’a compris le moi est cette dimension que l’on qualifié d’intérieure, et qui correspond à la structure individuelle supposée être stable et le je est la forme que prend ce moi lorsqu’il s’active au dehors, dans le monde, avec les autres. Et la différence entre les deux est à la fois aussi originaire que le sont nos deux hémisphères cérébraux et très actuelle dans la mesure où le monde des appareils nous contraint à multiplier les images que nous offrons de nous-mêmes comme celles que nous nous forgeons de nous-mêmes.
Ce n’est peut-être pas tant une pulsion narcissique qui anime tous ceux et toutes celles qui aujourd’hui s’enflamment le regard de leurs selfies, qu’une quête effrénée d’un arrêt sur image qui se serait sinon le dernier du moins le bon, comme on le dit lorsque l’on parle d’un homme ou d’une femme que l’on espère retenir pour qu’il ou elle occupe une place durable dans sa vie.
Mais ce qui apparaît aussi à travers cet usage des appareils et des réseaux, c’est la possibilité non seulement offerte mais présentée comme un possible souhaitable, d’un changement constant de sa personnalité. Mais alors parle-t-on de moi ou de je ?
Un socle existe sans doute, ce serait le moi, mais les attributs semblent supérieurs en puissance à la substance et le socle ressemble de plus en plus à une armature vide sur laquelle viennent s’agréger des signes, des traits, des marques qui dessinent finalement une sorte de portrait d’un moi à partir duquel il serait possible de dire je, à moins que ce ne soit d’un je auquel il serait possible de dire je te reconnais, tu es moi.
Cette réversibilité de l’attribution est sans doute le phénomène le plus important que cet usage massif des appareils fait émerger. Au point de permettre la mise à jour de ce qui est sans doute le secret le mieux conservé par la philosophie comme par la psychanalyse, le fait que le moi est une invention déjà tardive rendu possible par la langue transformée à l’aune de l’écriture et qu’il n’est en fait que le centre vide une sorte de vortex incernable autour duquel des planètes errantes faites de signes divers, viennent s’agréger. Le moi n’existe pas sinon comme une fable, la fable que se récite cet agrégat de signes ou que chacun de nous tente de lui faire réciter.
Et c’est sans doute quelque chose de cet ordre qu’en s’appropriant, usurpant ou jouant tout simplement avec l’image d’un autre portant le nom de Peter Doherty, celui qui se fait appeler Andy Vicci, vient, ici, révéler.
Alors on comprend à quoi servent, entre autres choses, les appareils et pourquoi ils sont en un sens si dangereux. Ils servent à révéler les régimes de fictions dont sont composées, en chacun de nous, les strates de croyance, celles que l’on identifie comme acceptables, celles qui nous offrent des modèles auxquels nous identifier, par exemple, et que l’on appelle finalement réalité.
L’autre aspect, on le voit bien aujourd’hui, c’est que les systèmes généralisés de surveillance qui se mettent en place, ont tout intérêt à ce que nous continuions à croire à ce moi personnel.
Alors des investigations artistiques comme celle d’Andy Picci se révèlent être de fabuleux opérateurs de libération conditionnelle ouvrant dans le mur de la prison du moi/je des portes et des fenêtres à travers lesquelles on peut envisager, enfin, un autre devenir que le seul projet de devenir autre.
Cette libération conditionnelle renvoie malgré tout chacun à sa solitude qui est d’avoir à inventer sa propre condition. Et elle appelle aussi d’autres usages des images, des appareils et des réseaux par lesquels ce devenir pourrait parvenir à s’incarner.
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