lundi 24 mars 2014

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L’autre mémoire

Echoes From Indian Ocean, un livre de photographies de Malala Andrialavidrazana

, Jean-Louis Poitevin et Malala Andrialavidrazana

Les images que Malala Andrialavidrazana présente dans son livre, Echoes, activent en nous la strate incernable de l’autre mémoire, celle qui ne cherche pas à se souvenir, mais celle qui fait revenir en chacun la forme même du souvenir.

Parce qu’elles sont des images de détails, parce qu’elles éludent le contexte, le pays, la situation sociale réelle, parce qu’elles sont déjà des métamorphoses du quotidien, son transport effectif dans une réalité où la beauté existe, parce qu’elles sont des images en couleur et qu’elles touchent en nous le centre névralgique d’un certain plaisir, parce qu’elles sont cadrées et que le cadre constitue en « monde » ce qu’il contient, parce qu’elles mettent devant nos yeux des choses que, quelle que soit notre origine, nous connaissons déjà, les images que Malala Andrialavidrazana présente dans son livre, ECHOES, activent en nous la strate incernable de l’autre mémoire, celle qui ne cherche pas à se souvenir, mais celle qui fait revenir en chacun la forme même du souvenir.

Nous voyons, nous percevons, nous reconnaissons, et nous laissons monter en nous le possible que l’image fait naître, le possible d’une certaine acceptation de l’impossible de l’existence.

Non qu’il y ait tragédie représentée ni même suggérée, mais il y a la terrible banalité du quotidien et c’est cette terrible et banale étrangeté qu’elle exhume du contexte des jours qui passent, du contexte des lieux de vie, du contexte d’une pauvreté planétaire, du contexte de pays différents, du contexte de la mémoire de chacun emplie de ces visions mais qui ne faisait pas ce travail d’extraction que l’image a réalisé pour chacun de nous et qu’elle nous propose à la fois comme objet de plaisir et comme vecteur de reconnaissance.

Nous sommes dans chacune de ces images, ou si l’on préfère chacune de ces images habitait déjà en nous, à l’état de morceau de mémoire enfoui dans le grenier et c’est à la ressortir de ce grenier que Malala Andrialavidrazana travaille. C’est à rendre le possible réel, à rendre l’improbable vrai que s’évertuent ses images.

Il y aurait une autre manière de les approcher qui consisterait à tenter de mettre quelques images en mots, de faire ce travail de verbalisation que met en marche chaque image quand notre regard se pose sur elle. Dire par exemple, que la couleur ne compte que parce qu’elle se décline au pluriel, pelote de laine rouge sur fond de mur blanc cassé, bouffé par le salpêtre, jaune orange du safran sur une feuille de bananier, dégradé de bleus en lignes horizontales dans une cuisine précaire mais ordonnée striant un fond pâle et un pilier clair, et que ce pluriel est la condition sine qua non d’une perception heureuse du monde. C’est ainsi qu’elle montre qu’une certaine pauvreté ne rime pas nécessairement avec malheur et que l’œil qui voit le jeu infini des couleurs agit sur cette réalité. N’en va-t-il pas de même partout ?

Et puis il y a la lumière, l’insécable lumière, celle sans laquelle rien ne paraîtrait, celle qui fait de la vibration d’un drap ou d’un rideau, d’une serviette contre un mur, d’un écran de télé dans la pénombre du soir, une illumination sans destinataire. Le mystère est là, hier comme toujours. Il y a celui ou celle qui vit et qui fait comprendre aux autres que c’est moins ce qu’elle voit que la manière de regarder qui change. Une question d’axe, d’angle de vue, de perception modifiée par l’aspiration à une certaine beauté, voilà ce qui fait que les images de Malala Andrialavidrazana se glissent entre nous et nous comme des signets porte-bonheur.

Et puis il y a les objets, les détails, les images dans l’image et puis il y a les corps, fragments d’une vie qui restera pour nous anonyme mais qui, saisie en biais, nous contraint à redresser l’œil mental qui nous sert de balance. Et puis il y a les mots, slogans ou aveux involontaires d’une pensée commune, et, résonnant de détail en détail, la langue brûlante de l’espérance.

Echoes From Indian Ocean de Malala Andrialavidrazana
Éditions Kehrer verlag Heidelberg Berlin
isbn978-3-86828-454-6
www.kehrerverlag.com